Les réverbères : arts vivants

Un miroir déformant, vraiment ?

Aux Amis musiquethéâtre, Olivier Périat propose une mise en scène osée et survoltée de L’Effet miroir de Léonore Confino. Un spectacle porté par quatre excellent-es comédien-nes et un texte plein de finesse, mais dans lequel un sentiment de trop-plein finit malheureusement par régner. À voir jusqu’au 16 novembre.

Théophile (Frédéric Landenberg) ne fait plus rien depuis le succès de La Chambre des amants. Voilà trois ans qu’il végète chez lui, en pyjama, pendant qu’Irène (Carine Barbey), son épouse, fait rentrer de l’argent pour s’occuper des jumelles. Mais cette fois, ça y est, Théophile a retrouvé l’inspiration et est en train d’écrire un petit conte philosophico-aquatique mettant en scène un bigorneau en quête de sa coque. Rapidement, chacun-e – qu’il s’agisse de sa femme, de son frère William (Djamel Bel Ghazi), de Jeanne (Anne-Sophie Rohr Cettou), l’épouse de celui-ci, ou du père, qui ne sera présent que par téléphone – se reconnaît dans l’un des personnages. Comme si Théophile avait écrit une métaphore de son entourage, ce qu’il nie. Le dîner qui s’organise avec les quatre protagonistes est l’occasion de créer des situations tragi-comiques et autres scènes cocasses qui s’enchaînent, mettant au jour les névroses et obsessions de chacun-e. Sans oublier la présence discrète d’un miroir du XVIIème siècle qui semble faire peur à tout le monde et ne va rien arranger. L’Effet miroir se dévoile à tous niveaux, que ce soit pour chacun-e ou face aux autres…

Une mise en scène (trop) pleine de bonnes idées

Dans sa mise en scène, Olivier Périat prend le parti de pousser tous les curseurs. Le texte de Léonore Confino met en avant plusieurs névroses, qu’on pourrait résumer ainsi : Irène n’en peut plus de tout porter, professionnellement comme à la maison, et en est totalement épuisée ; Théophile cherche inlassablement à créer quelque chose pour l’amour de la littérature, quitte à se déconnecter des réalités ; William s’inquiète de sa stérilité et fait tout pour que sa femme soit dans les meilleures conditions pour tomber enceinte ; tandis que Jeanne joue un drôle de jeu par rapport à cela… Bien sûr, d’autres couches de névroses et problèmes viennent s’ajouter au tableau : l’aventure d’Irène avec l’éditeur de son mari, l’admiration presque malsaine de Jeanne envers Théophile, une rivalité datant de l’enfance entre les deux frères, des secrets de famille qui seront révélés de manière inattendue… Ainsi, Léonore Confino nous tend un miroir grossissant des pensées qui peuvent toutes et tous nous obséder. Olivier Périat tente de retranscrire cela sur scène, en proposant une mise en scène survoltée, pleine d’idées, quitte à parfois en faire un peu trop et perdre en finesse par rapport au texte.

Sur scène sont disposés quatre miroirs, brisés à plusieurs endroits. On comprend bien vite qu’ils sont le reflet déformant – et qui plus est un peu flou – des quatre personnages, qui sont incapables de se voir tels qu’ils sont. Pour accentuer cette idée, une cage trône au centre du plateau, dans laquelle tout le monde, en-dehors de Théophile, débute la pièce. Une manière de nous dire que toutes et tous sont enfermé-es dans leur problématique et peinent à en sortir. Théophile sera d’ailleurs le seul à finir par se voir tel qu’il est, semble-t-il. Pour accompagner cela, Tania D’Ambrogio prend le parti de proposer des costumes rose fluo pour les femmes, et violet éclatant pour William, tandis que Théophile porte un banal pyjama rayé. Le contraste saute aux yeux, et vient rappeler certains codes du boulevard, le décor grandiloquant en moins. On s’interroge alors sur ce choix : est-il là pour accentuer le côté caricatural de ces personnages ? Celui-ci est également marqué par le maquillage presque clownesque imaginé par Sonia Geneux. Les ronds rouges sur les joues des personnages semblent nous indiquer que nous nous trouvons dans une drôle de farce. Toute notre attention se trouve alors portée là-dessus, et on en oublierait presque la subtilité du maquillage complémentaire des personnages : Théophile et William portent chacun la moitié d’une moustache, tandis qu’Irène et Jeanne n’ont qu’une moitié de rouge à lèvres. Une manière de nous dire que les personnages se regardent toujours en miroir – Jeanne cherche d’ailleurs souvent à se comparer à Irène – mais qui semble malheureusement ne pas être totalement exploitée.

Un texte subtil, mais qui se perd

Au-delà de ces aspects visuels, la mise en scène d’Olivier Périat est pleine d’énergie constante. Les personnages semblent ne jamais s’arrêter, toujours en mouvements. Par moments, ceux-ci s’apparentent à une chorégraphie, et sont poussés à l’extrême par des chansons diffusées et interprétées en playback par les protagonistes. Si on apprécie beaucoup le I will survive qui accompagne la réanimation du hamster cochon d’Inde, certains autres choix, à l’image du Céline Dion, sont moins évidents. Il ne faut rien enlever à la qualité d’interprétation des quatre acteur/trices, qui jouent leur partition avec un grand brio. Toutefois, ce jeu constamment dans l’énergie a tendance à épuiser, et surtout à faire passer le texte au second plan. On comprend qu’Olivier Périat a voulu pousser tous les curseurs à l’extrême, pour répondre au propos du texte en proposant là aussi un miroir grossissant. Et l’idée est tout à fait louable, mais à vouloir nous donner trop à manger, on peine à tout digérer.

En observant les réactions du public, on s’aperçoit d’ailleurs que ce choix semble diviser : certain-es, comme nous, semblent perplexes et perdent le sens du texte, pendant que d’autres rient à gorge déployée et prennent un malin plaisir à voir ces personnages tomber dans leurs névroses. On connaît la finesse et la complexité de l’écriture de Léonore Confino, tant dans Le poisson belge, que dans Ring, par exemple. Ses textes en disent bien plus qu’il n’y paraît, et plusieurs niveaux de lecture se présentent. Ceux-ci sont énoncés par certains choix de mise en scène, comme la cage et les miroirs brisés, mais se perdant aussi parfois dans le reste. Il en va ainsi de la rivalité entre les deux frères, symbolisée par une scène où tous deux se grognent dessus, comme deux chiens. À trop vouloir exploiter le signifiant, on perd le signifié. Dommage, car on ne s’ennuie tout de même pas devant ce spectacle, qu’il faut digérer, et on a peur de passer à côté de certaines subtilités.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

L’Effet miroir, de Léonore Confino, par la Cie Interlope, du 28 octobre au 16 novembre 2025 aux Amis musiquethéâte.

Mise en scène : Olivier Périat

Avec Carine Barbey, Anne-Sophie Rohr Cettou, Djamel Bel Ghazi et Frédéric Landenberg

https://lesamismusiquetheatre.ch/leffet-miroir-de-leonore-confino/

Photos : ©Camille Fontannaz

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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