Les réverbères : arts vivants

Un petit cube de bois

Nom d’une pipe ! En êtes-vous sciure ? Quand l’univers de Magritte entre dans le monde des mômes, par la Compagnie des Philosophes Barbares. À voir au Théâtre des Marionnettes de Genève,  jusqu’au 9 février.

Sous l’arche du monde, un petit cube de bois isolé attendait que la lumière de la salle de spectacle se couche pour devenir le sujet de l’imaginaire des petits d’hommes. Ces derniers étaient bien là, hauts comme une, deux ou trois pommes, sages comme des images, attendant que tout commence.

« Ceci n’est pas une pipe ! » L’univers surréaliste de Magritte tombe depuis la voûte des cieux dans le monde bien réel de l’imaginaire des mouflets. Un cube de bois, un triangle rouge ; formes simples pour images simples : ceci est un œuf, un cœur, un fer à repasser, un slip, puis devenus multiples, les plots sont des maisons, des écoles. C’est vrai, on peut tout imaginer, les enfants dans ce domaine sont nos maîtres.

Un personnage maître menuisier justement s’invite au spectacle sous un masque blanc aux grands yeux et au long nez : Patrick. Artisan du bois, il scie, coupe, tape et cloue des planches et se cogne… par bruitages. Un moment burlesque qui fait rigoler les enfants. Sympa ! De son travail, il reste au sol un peu de sciure, une drôle de chose bien étrange qui tombe et qui vole en poussière. Une matière sortie d’un atelier imaginaire, de planches imaginaires pour tomber de nul part et devenir vraie. La sciure des hommes est d’une provenance aussi étrange que le sable du marchand de sommeil.

Puis une locomotive emmène tout ce petit monde dans deux scènes restreintes entourées de noir où toute l’attention se focalise. Deux micro-mondes où un simple éternuement d’une marionnette peut faire sauter en virevolte le toit d’une maison. Un beau et juste moment, car c’est bien ainsi que l’imaginaire des enfants se développe, dans un monde à eux, un monde à part où ils se racontent des histoires.

On pourrait s’étonner, avec raison, de l’invitation de la proposition de Magritte dans ce spectacle, du jeu de mots qui lui est attaché, de cette sciure qui provient de nul part, et penser que dans cette aventure sans narration d’histoire, que ce sont des grands qui jouent avec des « si » à faire comme les mômes. D’une certaine manière c’est vrai. Les enfants ne jouent pas dans le surréalisme, ils jouent pour de vrai dans un vrai monde à eux. Ils ne disent pas « si » qui marque un futur, ils disent plutôt : on dit que… ce qui les plongent dans le présent.

Cependant, du haut de leurs une, deux, trois pommes, les mômes regardent et ce qu’ils ne comprennent pas tombe immédiatement dans l’oubli sans passer par la mémoire. La magie, l’émerveillement, l’imaginaire du spectacle proposé permet magnifiquement et sûrement pour chacun et chacune de débuter, ici avec un train de bois, leur vie de spectateur. Un bon moyen de locomotion pour arriver bien des années plus tard à saisir par l’imaginaire la phrase de Magritte, placée entre la réalité et le rêve.

Le Théâtre des Marionnettes de Genève est une gare essentielle depuis laquelle, pour tous ceux qui montent dans un train au départ d’icelle, y trouvent non seulement une longue aventure, mais surtout des destinations. Arrêts possibles : la danse, la musique, le théâtre, l’opéra, les marionnettes. Bon voyage !

 Jacques Sallin

Infos pratiques :

Nom d’une pipe ! En êtes-vous sciure ? par la Compagnie des Philosophes Barbares , du 28 janvier au 9 février au Théâtres des Marionnettes de Genève.

Mise en scène : Sylvia di Placido

Avec Glenn Cloarec, Juliette Nivard

Photos : © Eric Massua

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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