Les réverbères : arts vivants

Notre magma

Le vice et versa d’une émotion, brandi par l’étendard dramatique ou d’une blancheur salvatrice : Ivo Dimchev apparie les extrêmes dans sa performance poignante Live à Saint-Gervais dans le cadre du festival Antigel, du 31 janvier au 2 février. 

L’instantané

Retouchées, préparées, intensifiées – ces qualificatifs s’emparent des photos, de ces moments spontanés, transcendés par une authenticité qui fait naître, dans les yeux des curieux ou aficionados des fêtes passées, une petite larme de joie. Ivo Dimchev se rit de ces mises en scène et en propose une très épurée, enrichie d’une auto-dérision rare. Son concert ne saurait en effet commencer avant la recharge de son écran vital, le check-up des sourcils bien coiffés et d’une frange rangée. On décoche un sourire pinçant.

Il est au cœur d’un triangle, formé à ses pointes par ses deux musiciens, au piano et au violon. Il parle au public, insiste afin qu’il sorte de l’obscurité. Aussi, la douche de lumière blanche qui éclaire le visage du bulgare, aux pommettes saillantes, perd de son caractère quelque peu effrayant. Le chanteur ne respectera pas les sélections – l’ordre de ses chansons étant après tout son business –, place et déplace ses pieds, commente tout, comme pour fidéliser son public à cette forme d’art dans l’instantané, imparfait, déroutant, exquis.

Formes de puissance

Fidèle au personnage, la voix d’Ivo Dimchev est, elle aussi, insolite. Elle fendille cette protection terrible contre les émotions terrassantes – les positives comme les négatives –,  installée, cimentée en nous. Un ténor sciant, qui rappelle les pics d’envol de Farinelli du XVIIIe siècle dans les palais napolitains. Loin de l’enfant castrat, Ivo Dimchev est un quadra au caractère bien trempé : il dissimule son corps musclé sous un marcel baillant, tire dessus à plusieurs reprises pour découvrir son torse, balaye l’air de ses mains délicates en replaçant ses mèches rouges ; et en impose par ce cri mélodieux.

L’artiste déboussole tant il amorce de questions  : Une fois le public mis à nu par la lumière, l’on se demande : est-ce lui ou nous qui le regardons, et comment ? Dimchev crée le trouble : connu à l’international, il vit entre Sofia et Londres, endroits dans lesquels il s’engage mordicus pour l’art et la musique contemporaine, après la publication sur les arts de la scène : Stage works 2002-2016.   

Sensualités

La langue bulgare ne viendra qu’en fin de partie sur scène et c’est par cette surprise, entre autres, que le chanteur confère au bulgare une beauté nouvelle. Il accouche d’histoires anecdotiques en anglais – les échecs, les départs et les amours –, en prônant une bouche rebondie et d’un rouge fondant : Avec lui, on revoit nos images vieillottes de la sensualité ; on accueille celle de cet homme, qui écrivait en 2017, Paroles et pédérastes, un recueil de 150 poèmes et nouvelles en bulgare. Son chant traverse le temps ; il évoque également la beauté désespérée d’Anthony & the Johnsons. Ses Songs à cœur ouvert se frayent une passerelle fragile dans nos corps fermés. Le spleen rapidement rattrapé par un beat de techno archi-sec titille nos envies enfouies de folie dansée. Pour citer Ivo Dimchev et apprendre de ses nouvelles perspectives : this hour was « a beautiful prison ».

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Live de Ivo Dimchev du 31 janvier au 02 février au Théâtre Saint-Gervais.

Avec Ivo Dimchev, Konstantin Kuchev (violon), Georgy Linev (piano).

Photos : ® Ivo Dimchev

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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