Les réverbères : arts vivants

Un soleil ou une étoile ?

C’est avec un élan de douce folie et une impétueuse énergie que Mathieu Bertholet, le directeur du POCHE/GVE, a sollicité le savoir-faire de Selma Alaoui pour reprendre et mettre en scène la pièce emblématique de Jean-Paul Sartre La putain respectueuse. C’est en 1948 que cette pièce venait inaugurer le Théâtre de Poche. Une heure de spectacle – à découvrir du 1er au 6 avril puis entre le 24 et le 30 avril – lors de laquelle le public est embarqué, sans le savoir, dans un surprenant voyage.

Ségrégation raciale aux États-Unis

75 années sont passées, cependant l’ambiance des années 40 du Sud des États-Unis a été retranscrite avec pour seul et unique décor une pièce à vivre d’un modeste appartement. Nous retrouvons la protagoniste blanche de l’histoire, Lizzie, une prostituée qui est témoin du meurtre d’un homme noir par un blanc. L’assassin n’est autre que le cousin du sénateur Clarke. Un autre homme de couleurs – Jay – était présent lors du crime et se voit obligé de fuir pour éviter la mort. Il s’enfuit poussé par l’élan du fantôme de sa défunte mère. Ce survivant retrouvera Lizzie et lui demandera de dire la vérité aux autorités. Lizzie finira par le cacher afin qu’il ne soit pas retrouvé par les forces de police, lancées à sa recherche, en vain.

Changement de paradigme

Les personnages ont été en grande partie retravaillés et des nouveaux monologues attribués à Jay dans un esprit de donner vie à ce personnage, de lui donner une identité et de faire part au public de ce changement. Selma Alaoui donne à Jay une bien plus grande densité de caractère et lui attribue ainsi un rôle aussi important que pour tous les autres personnages. L’égalité des rôles prend ainsi naissance, là où le racisme est clairement dénoncé. Jay nous apparaît plus insoumis et son envie de liberté est grande. Le jeune comédien Djemi Pittet met beaucoup d’énergie et de passion dans l’interprétation de son rôle et cela se ressent. Des anciens discours de Martin Luther King ainsi que des sons électro viennent rythmer la scénographie et intensifier ses répliques.

Les trois personnages d’homme blanc : le sénateur, le fils du sénateur et un policier sont tous joués par Léonard Bertholet. Il représente ainsi toutes les facettes de l’homme dominant qui agace et effraie par des comportements plus qu’inadéquats. Il réussit à faire réagir le public par ses interprétations. Sa performance est à féliciter : passer d’un rôle à l’autre avec autant d’aisance, chapeau !

Selma Alaoui a souhaité également donner une place de choix à la femme, forte, qui prendra vie par le biais de Lizzie. De prime abord crédule, encline à subir des violences de la part des hommes de par sa situation de prostituée, elle réussira à s’émanciper à la fin de la pièce, à mettre un terme au racisme mais également à sa condition de femme soumise à l’autorité. Jeanne De Mont interprète très joliment le rôle de Lizzie en lui apportant une touche bien personnelle, fougueusement originale. Ses intonations et mimiques reflètent un caractère tantôt comique, tantôt dramatique adaptées à chaque situation.

Un final qui swingue

Après la mort du fils du sénateur, rien ne laisse présager que plusieurs morceaux de musique pop lanceront les comédien·ne·s dans des danses effrénées où les corps se délieront et les fumigènes envahiront la scène. Et pourtant … Performance scénique étonnante sur ton d’improvisation où la danse prend une connotation totalement libératoire, assure Giulia Rumasuglia, assistante à la mise en scène. Les émotions retenues et enfouies peuvent ainsi jaillir du néant. L’atmosphère est ainsi propice au partage. Le public ne regarde plus les personnages selon leur appartenance raciale ou sociale en lien avec l’histoire mise en scène. Ce sont tout simplement des comédien·ne·s qui proposent une libre interprétation de rythme et prennent du plaisir à échanger des pas de danses non-chorégraphiés. Le tempo bat son plein, les têtes bougent au rythme de la musique, ça swingue au POCHE/GVE.

Si quelques-un·e·s étaient surpris·e·s, connaissant bien la pièce originale de Sartre avec son issue qui laissait aux spectateur·ice·s le soin de méditer sur une fin possible, la jeunesse en revanche a beaucoup apprécié ce nouveau dénouement que Selma Alaoui donne à la pièce.

Les mots de la fin reviennent à Jay lequel déclame : Elle était la nuit, la nuit accouche du soleil laissant ainsi libre interprétation de la signification au public. Impossible pourtant de ne pas faire le lien avec la référence au soleil de Martin Luther King, qui avait dit :

Si tu ne peux pas être un soleil, sois une étoile.
Car ce n’est pas par la taille que vous gagnez ou échouez.
Soyez le meilleur de ce que vous êtes.

Natacha Gotti

Infos pratiques :

La putain respectueuse, du 1er au 6 avril, puis du 24 au 30 avril 2023 au POCHE/GVE

Mise en scène : Selma Alaoui

Avec Léonard Bertholet, Jeanne De Mont, Djemi Pittet

https://poche—gve.ch/spectacle/la-putain-respectueuse/

Photos : ©Isabelle Meister

Natacha Gotti

Passionnée de théâtre depuis sa plus tendre enfance, Natacha Gotti a étudié les Lettres, la psychologie et la pédagogie à l'Université de Genève.

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