Les réverbères : arts vivants

Une Mouette qui plane entre théâtre et vidéo

Au Théâtre de Vidy, La Mouette de Tchekhov shabille dune contemporanéité très réussie, dans une mise en scène de de Cyril Teste, avec le collectif MXM. Le spectacle était à voir du 26 avril au 5 mai.

Une mise en scène audacieuse

A sa création (1896) la pièce de Tchekhov était révolutionnaire car elle échappait aux formes du théâtre classique, en cela que l’action n’était pas sur scène mais se déroulait « hors champ » théâtral. Le suicide raté de Treplev, la mort de l’enfant de Nina sont rapportés par les protagonistes. Ce qui se jouait sur scène mettait d’avantage en exergue les sentiments et les considérations sur l’art.

En ce sens Cyril Teste transpose cette avant garde en réduisant le nombre de personnages, concentrant ainsi l’attention sur les thématiques chères à Tchékhov par une mise en scène audacieuse et innovante.

Le parti pris narratif et le dispositif scénique que Cyril Teste met en œuvre dans La Mouette sont un pari risqué, pourtant le dialogue entre théâtre et vidéo opère à merveille. Sur la scène peu d’objets mais un immense écran où vient se jouer le théâtre des sentiments humains. Les comédiens naviguent entre présence scénique et virtuelle à l’aide de petites caméras qu’ils tiennent entre leurs mains. La performance filmique est étonnante. Les gros plans exacerbent la puissance des sentiments, le doute, la tristesse, le chagrin ou l’angoisse. Les jeux de miroirs entre les personnages et leur image saisie par la caméra, évoquent l’infortuné Narcisse qui, fasciné par son reflet s’y perd irrémédiablement tout comme les personnages de La Mouette projettent sur l’être aimé leur besoin de reconnaissance et d’amour, cherchant une forme de salut impossible. Absorbés par des amours sans retour, ils souffrent tous autant qu’ils sont d’une vie rêvée qui semble irrémédiablement leur échapper.

Cyril Teste empoigne la pièce de Tchekhov avec une scène où  Koshia dit son amour filial à sa mère Irina, un amour aux résonances œdipiennes dont on ne sait dans quelles profondeurs de l’âme elles se  fraient un chemin. Entre désir et besoin de reconnaissance le jeune auteur implore l’amour inconditionnel de sa mère. Une mère fascinée, elle, par Trigorin, auteur à succès à la modestie frelatée. La caméra saisit avec indiscrétion le trouble incestueux du jeune artiste face à Irina, la mère et la femme.

Des passions contrariées

Lorsque Adam et Ève furent chassés du paradis, Dieu dit à Eve qu’elle et sa descendance enfanteraient dans la douleur mais ce qu’il dit si bas que personne ne l’entendit, c’est que notre quête d’amour, à nous, le genre humain, mènerait irrémédiablement à l’incompréhension et  à la souffrance!

Koshia aime follement Nina qui, elle, est tombée amoureuse de Trigorin. Toujours lui ! Attirance d’une jeune femme aspirant à la renommée, se donnant corps et âme à un homme sans grand scrupule prêt à immoler une jeune femme à l’autel de sa créativité cannibale. Nina remet sa vie entre ses mains, à lui, qui semble vivre dans un néant émotionnel, tant l’urgence d’écrire phagocyte tout son être. La mouette que Koshia a tuée et qu’il offre à Nina préfigure le titre de la pièce de Trigorin et la déchéance puis la mort de Nina.

Et puis il y a cette jeune femme, Masha, habillée de noire « en deuil de sa vie » éperdue d’amour pour Koshia qui ne lui renvoie que mépris et irritation. Par désœuvrement et par lassitude elle épousera Medvedenko qui lui l’aime d’amour. Puis c’est au tour d’Irina d’être malmenée et trompée par Trigorin.

Le jeu réservé des acteurs, sous la direction de Cyril Teste, libère la pièce de trop d’affect et laisse au théâtre de Tchekhov une autre façon de s’exprimer permettant ainsi au spectateur de toucher plus directement à ses fondements.

La scénographie renvoie à l’œuvre kaléidoscopique de Tchekhov qui ne parle pas seulement d’amours avortées et de passions non partagées mais aussi de la destinée, de la perte et du mal de vivre, de l’impossibilité d’être heureux,  de la modernité et des enjeux de l’art. Le va et vient mais aussi la simultanéité théâtre /vidéo met l’accent sur la force évocatrice de l’un et de l’autre et de l’un par l’autre. Une métaphore du détail versus l’ensemble mais aussi une mise en abyme de ce qui se joue dans la pièce de Tchekhov, à savoir la réflexion sur la modernité et sa pertinence.

C’est à ce sujet qu’un des protagonistes déclare dans La Mouette : « Il faut oublier les formes anciennes et modernes, il faut écrire avec ce qu’on a dans le cœur! »

Le théâtre de Tchekhov est un peu comme ces vins longs en bouche qui distillent leurs arômes avec subtilité dévoilant au fur et à mesure une complexité que leur robe ne révélait pas.

Katia Baltera

Infos pratiques :

La Mouette, d’après Anton Tchekhov, par le collectif MXM, du 26 avril au 5 mai 2023 au Théâtre de Vidy.

Jeu :
Vincent Berger : Boris Trigorine
Olivia Corsini : Irina Arkadina
Katia Ferreira : Macha
Mathias Labelle : Treplev
Liza Lapert : Nina
Xavier Maly : Sorine
Pierre Timaitre : Medvedenko
Gérald Weingand : Dorn

https://vidy.ch/fr/evenement/cyril-teste-collectif-mxm-la-mouette/

Photos : © Simon Gosselin

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