Une tempête cathartique
Jouée du 25 au 28 septembre à la Comédie de Genève, la dernière création d’Anne Teresa De Keersmaeker Exit Above, après la tempête est une expérience plurielle, qui invite à ressentir plutôt qu’à mentaliser.
De sa voix claire et puissante, Meskerem Mees, accompagnée par un air de blues, nous livre son interprétation de l’Angelus Novus de Paul Klee. Cet ange, tournant le dos à son avenir et regardant vers les ruines de son passé, est poussé par le vent du progrès qui déploie inexorablement ses ailes pour qu’il s’envole. Noir. Un immense voile translucide flotte au-dessus d’un danseur, qui cherche à s’échapper, à lutter contre ce vent qui agite ses ailes, jusqu’à renoncer, et se laisser couler. Noir. L’ange s’est joint au chœur des danseur·se·s, un cœur qui bat lentement à l’unisson, en jouant avec des silences prolongés. Les ailes tombent, le voile se pose doucement sur les danseur·se·s, puis disparaît. Après ce moment d’une beauté flottante, cette mise en tension, allant jusqu’à la gêne du public, agit comme la corde de l’arc, en suspension avant de lancer la flèche à toute vitesse, avec une énergie infaillible pendant 1h30.
Alternant entre moment choral et solo, aucun·e danseur·se·s n’est mis en avant dans la création d’Anne Teresa De Keersmaeker. Il s’agit plutôt d’une exploration de comment faire groupe tout en conservant sa singularité. Chaque danseur·se apporte sa propre touche, allant du classique au break dance, en passant par la danse irlandaise, et la maîtrise de chacun sera à son apogée lors du moment de fête, une explosion de joie partagée où chacun peut s’exprimer, encouragé par les autres. Ce moment de catharsis est contagieux, l’énergie qui se dégage de cette troupe de jeunes donne envie de les rejoindre sur scène, jusqu’au moment du contrecoup, d’une véracité qui prend aux tripes. Mais dès qu’on a l’impression de saisir un sens, une image, iels nous entraînent tout de suite dans une autre direction, nous défiant d’arriver à les comprendre. Exit Above se vit, et ne se lit pas avec le mental.
Les danseur·se·s sont souvent autour du cercle de lumière, fuyant les projecteurs, et occupent la scène dans son intégralité. Ici, les bords du plateau deviennent des précipices avec lesquels iels jouent, s’en approchant à toute vitesse et stoppant net, jusqu’au fond de scène, ainsi que les côtés. Aucun espace scénique n’est laissé à l’abandon, même l’espace sonore est rempli de cris, de rires, faisant résonner la Comédie. La musique fait partie intégrante du spectacle, avec le guitariste Carlos Gabin, inclue dans le chœur avec ses variations d’instruments, interprétant des chansons inspirées des « walking blues » du chanteur et guitariste afro-américain Robert Johnson qui rythment la représentation.
Anne Teresa De Keersmaeker, en continuité avec son travail de réflexion entre danse et musique, cherche à revenir aux origines blues de la musique pop. La musique pop aujourd’hui est selon elle ce qui se rapproche le plus de l’expérience commune comme ont pu l’être au Moyen-Âge les troubadours, dont l’intention était de rassembler et faire danser les gens ensemble. En incorporant des textes en flamand dans la scénographie ainsi que sur les costumes des danseurs, elle renoue aussi avec ses propres origines belges.
Exit Above, après la tempête fait vivre aux spectateur·ice·s aussi bien la tempête, que les accalmies qui la précèdent et la suivent, dans un tourbillon d’énergie qui ne faiblit à aucun moment.
Léa Crissaud
Infos pratiques :
Exit Above, après la tempête, d’Anne Teresa De Keersmaeker, à la Comédie de Genève, du 25 au 28 septembre 2024.
Avec Meskerem Mees, Carlos Gabin, Abigail Aleksander, Jean Pierre Buré, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos, Rafa Galdino, Nina Godderis, Solal Mariotte, Mariana Miranda, Ariadna Navarrete Valverde, Cintia Sebők, Jacob Storer.
https://www.comedie.ch/fr/exit-above
Photos : ©Ann Van Aerschot