Les réverbères : arts vivants

Au Galpon, on revisite La Panne

Dans le cadre d’un partenariat, La Pépinière proposera, tout au long de la saison, des reportages autour des spectacles joués au Galpon. L’occasion de découvrir comment travaillent les différentes troupes. Aujourd’hui, avec le SAT, nous plongeons dans La Panne de Dürrenmatt, qui ouvrira la saison dès le 8 octobre.

Pour débuter sa saison, le studio d’action théâtrale (SAT) du Galpon accueille le Pequeño Teatro de Medellín, dans le cadre d’un échange. Les débuts de répétition demandent beaucoup de travail, d’autant plus avec cette barrière de la langue, pour un spectacle qui sera joué en français. Lorsque nous arrivons, en pleine pause, tout le monde s’affaire, boit un coup, grignote quelque chose, revoit son texte, apprend une chanson, s’échauffe, s’étire ; on profite de faire signer des documents… C’est que l’équipe est en plein travail, à trois semaines de la première. Sur la scène du Galpon, nous découvrons une grande tablée, recouverte d’une nappe blanche et de quelques taches rouges. Au fond du plateau se dessine un bar, avec de nombreuses bouteilles autour de lui.

Gabriel Alvarez, co-directeur du Galpon et metteur en scène de La Panne, nous explique alors que le Pequeño Teatro est le plus grand et le plus ancien théâtre de Medellín. Alors qu’il s’apprête à fêter ses 50 ans, un échange a été organisé entre les deux institutions, suite à une tournée il y a deux ans. L’échange, au-delà d’être culturel, est aussi celui de pratiques. Les Colombien·ne·s doivent apprendre à travailler à la manière du SAT, s’adapter. Un bel exemple d’ouverture !

Le spectacle qui est en train de se monter est donc La Panne, de Friedrich Dürrenmatt. Il y est question de manger, de boire, et de justice. Autour du rituel du banquet et de la beuverie, c’est une mise en abîme un peu absurde de la justice que propose l’auteur suisse-allemand. La répétition de l’après-midi sera consacrée à un premier filage, alors même que les acteur·ice·s n’ont pas encore totalement appris leur texte. Il s’agit de fixer les premiers éléments et de voir comment se construit le spectacle. En parallèle, David, un cinéaste colombien est présent. Avec Justine Ruchat, iels filmeront l’échange entre les cultures dans le but de proposer un documentaire par la suite. On nous présente également Cyril, responsable du bar, et qui sera bien sûr présent durant les représentations.

Sur la scène, donc, nous assistons à un banquet qui se transformera rapidement en procès. Les hôtes reproduisent chaque soir un jeu où ils incarnent juge, procureur, avocat et bourreau, leurs anciennes professions. Ne manque qu’un invité. Ce soir-là, un certain Alfredo Traps tombe en panne dans le village et est accueilli. Il jouera le rôle de l’accusé. Encore faut-il trouver une affaire dans laquelle il peut être suspecté… Notons ici que le texte sera par la suite totalement traduit en espagnol pour être joué à Medellín. La colonne vertébrale de l’histoire reste bien celle de Dürrenmatt, qui avait d’ailleurs déjà effectué plusieurs changements entre le roman et la pièce de théâtre. La narration est donc organisée de manière linéaire, ce qui change des précédents projets du SAT, où tout était plus éclaté, autour de différents mythes. Ici, les dialogues sont courts et rythmés, ce qui représente un nouveau défi pour toute l’équipe.

Pour réfléchir aux différents personnages et à la manière de jouer, la troupe a beaucoup travaillé sur le jeu vocal, le rythme, les intentions, en s’appropriant ensuite des éléments à partir de l’essence du texte. Chaque personnage a donc été travaillé individuellement, avant de rencontrer le texte, qui est entré en jeu dans un second temps. Cela peut créer une certaine tension entre le jeu et le texte, mais permet une construction différente de ce qu’on peut avoir l’habitude de voir. Chaque comédien·ne a ainsi travaillé d’abord dans son coin, à l’aide de certaines tâches qui lui ont été proposées. Iels ont ainsi beaucoup travaillé autour de leur vie intérieure, en reprenant par exemple des souvenirs de banquet. Un pianiste les a également accompagné·e·s durant les répétitions, pour préparer les chants a cappella qui seront interprétés dans la dernière partie du spectacle. L’aventure a été particulièrement intéressante au moment de la rencontre avec le texte : celui-ci invite au surjeu, et il a fallu contraindre cela pour trouver le bon équilibre.

La scénographie, quant à elle, a été inspirée par la peinture et l’iconographie de Dürrenmatt lui-même. L’idée était de garder une certaine cohérence avec sa philosophie et ses personnages, avec une dimension caricaturale qui, paradoxalement, ne se retrouve pas dans le langage. Au moment où nous assistons à la répétition, les costumes et la lumière ne sont pas encore définis. Ils devraient contribuer à ce côté grotesque. Car c’est bien de cela dont il est question dans La Panne : Dürrenmatt imagine des personnages coincés à l’infini dans cette beuverie, qui s’avère donc tout à fait intemporelle, d’où le fait qu’elle peut encore exister aujourd’hui. Lui-même était un personnage plein de contradictions, et cela se retrouve dans les thèmes qu’il aborde dans ce texte : l’argent, la nourriture, l’excès de boisson, mais aussi la justice. Fils de pasteur, il se révolte aussi contre cette éducation, en proposant une forme de nihilisme, sans transcendance, ni divinités dans ce banquet qui évoque, évidemment, la Cène. Pour illustrer cela, une simple maxime qui revient souvent dans le spectacle : « Il faut manger pour vivre, et non manger pour vivre ! » On retrouvera d’ailleurs beaucoup de nourriture et de boissons sur scène, pour bien s’imprégner de l’ambiance de la pièce. En écrivant, Dürrenmatt a toujours cherché à créer des histoires à partir de l’ego, avec une dimension comique, voire grotesque, tout en trouvant une certaine limite à cela. Chaque histoire qu’il raconte présente ainsi une grande dimension philosophique. Dans La Panne, au-delà des questions autour de la justice, la question fondamentale pourrait être : comment raconter qu’on est toujours à la merci de nombreux événements ? D’où l’idée de l’accident, ou de la panne, qui conduit Alfredo Traps dans cette drôle de soirée, qu’on a hâte de découvrir dès le 8 octobre.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

La Panne, de Friedrich Dürrenmatt, au Théâtre du Galpon, du 8 au 20 octobre 2024.

Mise en scène : Gabriel Alvarez

Avec Clara Brancorsini, Albeiro Pérez, Andres Moure, Omaira Rodriguez, Justine Ruchat, Hèctor Salvador Vicente

https://galpon.ch/spectacle/la-panne

Photos : ©Galpon

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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