Les réverbères : arts vivants

Une vie de goinfre ou de gourmande ?

Les angoisses existentielles et les fringales, le gras pernicieux et les regards fatals – Voici la mixture que proposait Charlotte Riondel, dans J’ai faim d’amour mais je pense que ça va être plus simple de me faire des pâtes au théâtre WAOUW du 26 au 28 septembre.

Les portes du frigo s’ouvrent. On s’agite derrière les casseroles. Les informations s’enchaînent très rapidement sur scène :  Charlotte Riondel n’y va pas par quatre chemins, le message semble urgent… il faut désormais faire taire tous les levains grossophobes qui tapissent le fond de nos cœurs. Comment remédier à un béant besoin d’amour dans une société où être gros-se est un problème alors qu’être gourmand-e serait plutôt chic ? La question nous parvient comme une batte de baseball. La faim et l’amour ne sont-ils pas simplement universels et ouverts à tou-te-s ? Hé non.

La comédienne, avec son étiquette de « grosse » sanglée depuis moult années au corps, revient sur son parcours semé d’embûches de Porrentruy à Genève et nous partage, avec humour mais aussi avec rage et lucidité, tous ces moments difficiles traversés, tandis que les autres, les sirènes et autres sveltes les vivaient légèrement. Plusieurs histoires défilent à la manière d’une bande dessinée :  Les remarques déplacées dans la famille devant l’assiette, les mots rabaissants des collègues et d’une médecin croyant pourtant bien faire… Les jugements sont d’autant plus âpres qu’ils sont déguisés sous des soi-disant conseils de bien-être et de bonne santé.

Pour accompagner, avec douceur, les maux soulevés par la comédienne, le duo musical Martin XVII surgit quelque fois de derrière les casseroles et/ou les platines et prend le relais de la voix blessée. Cette mélopée électronique agit comme un baume sur le plateau, on en voudrait plus pour envelopper la pièce, s’apparentant à un one-woman show.

La méthode employée rappelle celle d’un-e coach, on nous parle de façon directe et sans détour, comme s’il fallait marteler les esprits du public, sommé à exprimer secrètement son avis sur les grosses – un mot qui sera répété sans cesse sur le plateau – et à le modifier. Il est toutefois difficile d’adhérer totalement à l’histoire puisque l’on se sent menacé, en tant que public, d’être à l’origine des préjugés dispersés dans le monde contemporain. On aurait besoin de quelques respirations pour digérer ce qui se déroule sous nos yeux.

Mais, cette première création, écrite de A à Z par la Jurassienne, c’est aussi l’occasion d’entrer dans l’univers de celles et ceux pour qui la masse n’est pas qu’un concept issu du cours de physique mais quelque chose qui vous colle bel et bien à la peau. La comédienne propose en effet une approche théorique pour le moins intéressante puisqu’elle compare la formation des étoiles, résultant de chocs et de pressions de la masse, à l’évolution d’un corps prenant de l’embonpoint. La masse serait donc un processus fait de mouvements et d’énergies et non seulement un état d’être découlant d’un terrible « laisser-aller ». Elle fait partie de l’univers et siège, toutes les nuits, au-dessus de nos têtes. Briller à la manière des étoiles, qui sont elles aussi si liées à la masse, c’est donc possible pour tous.tes, c’est faire peau neuve et s’extirper hors des zones d’ombre et de douleurs enfouies.

Et pourquoi, d’ailleurs, ne pourrait-on pas vivre dans la volupté d’un corps débordant d’énergie, de formes ? Faudrait-il, pour devenir une étoile, s’assécher ? Hé non. Le spectacle nous laisse sur une image de généreuse gourmandise qui donne envie de vite aller boulotter quelques bonnes recettes de pâtes en bonne compagnie, le tout saupoudré de bonne conscience.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

J’ai faim d’amour mais je pense que ça va être plus simple de me faire des pâtes, de la Cie Faune de Flèches, du 26 au 28 septembre 2025, au théâtre WAOUW

Mise en scène : Luca de Pietri, Charlotte Riondel

Avec Charlotte Riondel, Pascal Lopinat et Louis Riondel

Photos : © Giona Mottura

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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