Vera : Le showbiz comme dans une sitcom

L’histoire d’une femme directrice d’une agence de casting, dans un monde où tout est régi par l’argent et le pouvoir : c’est Vera. Job Interviews, à voir au Théâtre Alchimic jusqu’au 13 mars, La mise en scène est signée Frédéric Polier et n’est pas sans rappeler les plus célèbres sitcoms. Une belle mise en abîme.

Vera (Camille Giacobino) a monté son agence en Tchéquie – le pays de l’auteur de la pièce Petr Zelenka. Forte de son succès, elle est bientôt absorbée par de grands bureaux londoniens, lui permettant de se développer à l’international. Alors que le succès et l’argent lui montent à la tête, Vera se met à prendre des décisions pas toujours des plus éthiques, pressée par des enjeux qui la dépassent… Mais à trop vouloir s’approcher des étoiles, la chute risque de n’être que plus violente.

Le spectacle de toutes les dérives

Tout commence avec une actrice décédée. Vera se rend à la morgue pour la reconnaître. Mais alors qu’elle n’a déjà plus son prénom en tête, elle oubliera bien vite jusqu’à son existence. Tout va trop vite dans ce métier, et nous voilà déjà, après quelques minutes, face au peu d’importance accordée aux êtres humains dans ce milieu de requins…

Impossible de tenir le rythme infernal imposé par le show-business sans un petit peu d’aide. C’est ainsi que l’on bascule vers une autre dérive : l’addiction. Sans jamais rien nommer, le texte a l’intelligence de montrer, à travers ses divers personnages, les travers d’une société à la dérive… Bob, l’acteur-phare de l’agence a ainsi besoin de quelques pilules pour enchaîner les tournages et autres représentations au théâtre, sans oublier son comportement libidineux à l’égard de la gent féminine… Le pire là-dedans ? Vera fait tout pour entretenir la dépendance de Bob, tout en cachant cela aux yeux du monde. Il ne faudrait que son image d’acteur numéro 1 du pays soit entachée. Quand on verra ce qu’il devient à la fin du spectacle, on comprend qu’il n’en sortira jamais.

Ces dérives sont causées par la volonté farouche de Vera d’atteindre les sommets, quitte à délaisser tout le monde en chemin. Elle se brouillera ainsi avec son frère (Cédric Dorier) et son père (Bernard Escalon), en faisant capoter l’histoire d’amour de ce dernier, pour des raisons difficilement acceptables… Quant à la façon dont elle traite ses acteur·trice·s, on est sans voix ! Elle n’hésitera ainsi pas à tenter de monétiser le cancer de Magda (Alexandra Tiedemann) pour en faire une émission à succès. Mais Vera n’est pas la seule coupable, et la pression qu’elle reçoit des Londoniens Paul (Olivier Lafrance) et Beata (Alexandra Tiedemann) n’y est pas étrangère…

On en oublierait presque sa pauvre nièce Bara (Charlotte Filou) que Vera pousse dans les bras de Bob, comme un vulgaire morceau de viande. Le #metoo n’est pas très loin, et il est intéressant de noter que tout le monde y contribue, lorsqu’il y a de l’argent en jeu…

Comme dans une sitcom

La force de la mise en scène de Frédéric Polier réside dans la mise en abîme qu’il a créée : pour figurer le monde du show-business, il place ses personnages dans ce qui s’apparente à une véritable sitcom. Ainsi, on a l’impression d’assister au tournage d’une série, depuis le plateau, avec ses armatures métalliques qui devraient être hors champ, l’ascenseur dont les portes sont activées mécaniquement, l’écran qui projette certaines scènes et autres interludes… Sans oublier que les castings et d’autres passages sont filmés au téléphone et y sont retransmis en direct. On s’y croirait !

Quant aux personnages, ils portent presque tous en permanence une perruque, à l’exception de Vera (et de son père, le seul pour qui elle semble ressentir une affection sincère). Il y a, bien sûr, l’aspect pratique, chaque comédien·ne interprétant plusieurs personnages, à l’exception de Camille Giacobino. Mais cela nous en dit surtout long sur sa représentation du monde, que l’on voit finalement à travers ses yeux. Pour elle, tou·te·s celles et ceux qui l’entourent ne sont rien d’autre que des rôles, qu’elle doit diriger, voire manipuler. Comme si la vie était une véritable sitcom…

Le côté comique du spectacle, à la limite du grotesque par moments, n’en est alors que plus grinçant. Et la dernière partie, racontant la chute inexorable de Vera ne bascule plus vraiment dans l’humour. On comprend qu’elle récolte ce qu’elle a semé, et que le monde du show-business est particulièrement cruel : au sommet un jour, au fond du caniveau le lendemain. Il n’y a pas de place pour les sentiments. Comme quoi, on récolte bien ce que l’on sème…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Vera. Job Interviews, de Petr Zelenka, du 22 février au 13 mars 2022 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Frédéric Polier

Avec Cédric Dorier, Bernard Escalon, Charlotte Filou, Camille Giacobino, Olivier Lafrance et Alexandra Tiedemann

https://alchimic.ch/vera-2/

Photos : © Isabelle Meister

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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