Les réverbères : arts vivants

Vérité kaléidoscopique à l’Alchimic

L’Alchimic accueille La collection, un texte magistral d’Harold Pinter, dans une mise en scène signée Valentin Rossier. Tout en subtilité et en nuances, ce morceau d’humour noir sur fond d’adultère résonne avec la justesse qui lui est due. À voir jusqu’au 6 octobre.

Tout commence par un étrange appel à 4 heures du matin. Un homme veut parler à Bill Lloyd, mais c’est Harry, avec qui il vit, qui répond, totalement dérouté. On apprend ensuite qu’il s’agit de James, l’époux de Stella, avec qui Bill aurait couché lors d’un séjour à Leeds. Lorsque le mari effronté et l’amant supposé se confrontent, ce dernier avoue, puis nie en bloc. Leur relation se développe alors de manière inattendue, et l’on ne sait plus s’ils vont se battre, s’apprivoiser, se faire confiance ou… Au fil des rencontres et changements d’avis autour de ce qui s’est véritablement passé, les quatre protagonistes vont entretenir des liens qui les déstabiliseront tout autant que le public. Les vrais et faux semblants sur fond d’adultère nous montrent bien que la vérité n’est pas toujours simple et lisse…

Tout en subtilités

Le texte d’Harold Pinter est considéré comme le meilleur qu’il ait écrit. La grande force de son écriture est de dérouter totalement le spectateur, tout autant que les personnages : personne ne sait ce qui est vrai ou faux. Pour lui rendre honneur, il fallait donc mettre en place un jeu subtil. Ainsi Valentin Rossier tente de se contenir dans le rôle du mari James. Alors qu’on a plutôt l’habitude de le voir dans des rôles tout en contrôle, c’est tout l’inverse qui se passe ici et sa gestuelle, comme sa voix, paraissent moins assurés, au bord de l’explosion en permanence, amenant toute la tension qu’il faut à l’époux trompé. Quant à Mauro Bellucci, dans le rôle de Harry, on le trouve d’abord très maniéré – trop ? – mais cette impression retombe vite et l’on perçoit tout autre chose de lui : ce sentiment qu’il tire plus de ficelles qu’on ne le croyait, avec toujours une certaine distance par rapport aux événements. Comme si tout cela n’était qu’un jeu… Parlons ensuite de Thomas Laubacher, le séduisant Bill Lloyd, qui semble toujours jouer sur deux tableaux. Cette dualité s’illustre dans son jeu constant entre aveu et négation, et le malin plaisir qu’il prend à déstabiliser James. Mais Bill est aussi constamment sur le fil entre assurance et vulnérabilité, alors qu’un rien peut le faire craquer. Dernier personnage, et non des moindres, Stella, interprétée par Camille Figuereo, se fait assez discrète. Avec son côté femme fatale qui contraste avec ses propos souvent ingénus, elle en sait bien plus qu’il n’y paraît, étant la seule à connaître toute la vérité. Si on a l’impression de ne pas la voir beaucoup sur scène, c’est peut-être parce que c’est elle qui contrôle tout, sans avoir besoin de se mettre en avant.

Une scénographie ingénieuse

Le décor est d’apparence très simple : deux fauteuils et une table sur laquelle est posée une carafe et des verres, soit l’intérieur de la demeure de Harry et Bill. Ça, c’est pour le premier plan. Car derrière ce premier décor trône une grande plaque de verre, qui peut devenir tour à tour miroir, écran de projection ou simple vitre à travers laquelle on voit. En arrière-plan, on découvre un canapé, celui de chez Stella et James. Le tout donne une impression cinématographique, avec le côté voyeur·se qu’il contient dans cette découverte d’une certaine intimité. Ce sentiment est renforcé par le fait de regarder à travers la vitre avec un son différent, qui nous parvient à travers des micros, comme un écho.

On peut se demander ensuite si ce choix n’induit pas une hiérarchisation entre les scènes, comme si certaines méritaient d’être mises en avant, alors que celles de l’arrière-plan nous donnent un aperçu de ce qui se passe en coulisses, là où toutes les manigances se créent ?

Mais ce qui marque le plus, c’est l’utilisation de l’écran de verre. Lorsqu’on est chez Bill et Harry, il peut devenir miroir, comme si les personnages étaient invités à se regarder en face, tels qu’ils ont ou déformés par le verre. À d’autres moments, les projections rappellent les kaléidoscopes de notre enfance, avec ces motifs disposés en miroir pour créer une grande mosaïque. On imagine alors que ce sont toutes les vérités qui se confrontent, se ressemblent sans pour autant jamais être les mêmes, créant une mosaïque des possibles. En revanche, lorsqu’on se retrouve chez James et Stella, c’est souvent un rideau qui se projette sur le verre, comme pour nous dire que ces scènes sont voilées, dans l’ombre, avec cette opacité qui nous rappelle qu’on ne pourra jamais comprendre vraiment ce qui s’est passé, devant nous cantonner à des suppositions…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

La collection, de Harold Pinter, du 19 septembre au 6 octobre 2023 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Valentin Rossier

Avec Mauro Bellucci, Camille Figuereo, Thomas Laubacher et Valentin Rossier

https://alchimic.ch/la-collection/

Photos : © Carole Parodi

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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