Les réverbères : arts vivants

We’re Here : faire face, ensemble

La trilogie We’re Here, imaginée par Lola Giouse nous emmène dans les méandres des relations au sein d’un groupe : de l’intime à l’universel, elle nous questionne sur nos positions, nos convictions, en nous faisant passer par toutes les émotions. À voir jusqu’au 15 juin au Parc de La Bâtie.

« On ne fait pas du théâtre militant, mais du théâtre POUR les militants », s’exclame Chouchou dans la deuxième partie du spectacle. L’idée de cette trilogie est d’insuffler une énergie, amener de la vie pour s’insurger, réfléchir et prendre position face à un monde qui va mal. Il y est question des maux individuels et collectifs, partagés ou non. Toute la soirée tourne autour du concert que le groupe s’apprête à jouer, avec le tube écrit par Fribourg (Martin Perret). Mais avant cela – et c’est la première partie du spectacle – Gégé (Géraldine Dupla) et Saumon (Simon Hildebrand) se présentent au public, un peu gênés et essoufflés. Ensemble, iels ont enfreint une règle fondamentale du groupe : ne pas avoir de relations sexuelles. Mais cela va plus loin, car les deux s’aiment, sans savoir comment se le dire. Il leur faut alors trouver les mots, les gestes, ou quelque autre manière de l’exprimer… jusqu’à ce que Chouchou (Cédric Leproust) débarque, annonçant que toute l’équipe les cherche partout, en vue du concert. On se déplace alors près de la scène pour retrouver tou·te·s les membres du groupe : Gégé, Simon et Chouchou, qu’on avait déjà vu, mais aussi Fribourg, Bibou (Mattéo Giouse), Marie (Marie Romanens), Michachon (François Renou) et Anka (Anka Luhmann). L’échauffement se lance, on nous briefe, nous public, sur notre participation à la chanson, et c’est parti ! Sauf que Fribourg n’a plus envie. La deuxième partie du spectacle questionne ainsi la solitude, voire la dépression, alors même qu’on est entouré·e. Après cette véritable ode à l’empathie, place à l’entracte, avec une bière et de la musique, puis vient enfin le temps du concert. Ou pas, car Bibou vient remettre certaines choses en question, après le long monologue de Chouchou. Le moment est venu de tout remettre à plat, de réévaluer le projet du groupe avant, enfin, de pouvoir partager l’énergie de ce concert tant attendu !

Les émotions avant tout

Dans l’écriture de Lola Giouse et dans le jeu de La Division de la Joie, il y a quelque chose de pas vraiment théâtral. Comprenez par-là qu’on a plutôt l’impression d’entrer dans la réalité et l’intimité d’un groupe, plus que d’assister à une représentation de théâtre. Le public est inclus, participe, car l’équipe nous y invite en brisant le quatrième mur dès le départ. Tout du long, on a alors envie d’aider, de soutenir, de donner la force, mais aussi de danser avec elleux, de rire, de partager, tout simplement. Surtout, on se reconnaît dans les situations qui nous sont montrées, qu’elles soient joyeuses ou non, plus ou moins poussées. Mais ce qu’iels vivent, on l’a toutes et tous vécu. Il y a cet amour qu’on aimerait avouer, mais que nos maladresse nous empêchent de dire. Il y a les non-dits, les mauvaises formulations, les mécompréhensions qui conduisent à des conflits et autres disputes. Puis il y a la solitude de Fribourg, qui nous touche, parce qu’on l’a vécue à un moment donné, malgré toute la bienveillance de notre entourage, avec cette impression que personne ne nous comprend. À l’inverse, on a été cet·te ami· qui tente par tous les moyens d’aider, de soutenir, sans savoir véritablement comment. Il y a enfin cette phase de remise en question, quand on ne se sent plus en phase avec le groupe, ou avec soi-même. Il faut alors tout réinventer, trouver sa place. N’est-ce pas aussi une forme d’approche de la maturité ?

Pour ce faire, We’re Here nous fait passer par toutes les émotions. Il y a beaucoup de rire d’abord, face aux situation décalées créées par la maladresse de Gégé et Saumon, et l’absence de mots de Saumon lorsqu’il veut avouer ses sentiments à Gégé. Rapidement, il y a aussi ces larmes qui montent, et l’on rêverait de prononcer une déclaration aussi belle et sincère que celle de Gégé à Saumon. On ressent une forme de gêne quand Chouchou par en cacahuètes après que Fribourg avoue sa solitude dans un étrange silence. Ce même Fribourg qui provoque chez nous un sentiment d’empathie, tant on n’a pas envie de le voir mal. Sans transition ou presque, on passe à la colère et l’envie de se révolter quand Bibou et Chouchou nous parlent de l’état du monde. On ne peut alors que ressentir, aussi, une certaine tristesse. Toutes ces émotions et tant d’autres vont et viennent, se mélangent, s’alternent, disparaissent et réapparaissent encore plus forte, pour nous rappeler que le théâtre, ça se ressent avant tout.

On ne peut alors pas ne pas souligner la force des monologues qui émaillent le spectacle : ceux de Gégé et Saumon d’abord, où il est question d’amour. Ceux de Chouchou, qui se laisse peut-être déborder par sa colère, mais laisse sortir tout ce qu’il pense, enfin. Celui de Bibou, aussi, qui veut rappeler les valeurs du groupe. Celui d’Anka, enfin. Elle est la plus jeune du groupe, encore adolescente, mais s’exprime pourtant avec une impressionnante lucidité, à laquelle tou·te·s ne peuvent que se rallier. Il est question de regarder, d’observer, de ressentir, de prendre du recul. Il nous est impossible de retranscrire ses mots, tant ils étaient d’une implacable justesse.

Le pouvoir de la musique

We’re Here, c’est aussi, ne l’oublions pas, un spectacle sur la musique. On nous a tout de même promis un concert ! On dit souvent que la musique adoucit les mœurs, ce qui a le don de mettre Chouchou hors de lui. On dit aussi qu’elle ne changera pas le monde. Mais elle a pourtant un immense pouvoir : celui de porter, de donner de l’énergie. Une discussion sur ce point a d’ailleurs lieu dans la dernière partie du spectacle. Et force est de constater que la musique émaille tout le spectacle. Il y a d’abord cette chanson qui rapproche enfin Gégé et Saumon, bien au-delà de tous les mots qu’iels auraient pu prononcer. Il y a cette composition de Fribourg, écrite pour des non-musicien·ne·s, qui rassemble non seulement les membres du groupe, mais aussi tout le public, donnant d’ailleurs son titre au spectacle. Il y a tous ces classiques qui passent durant l’entracte, sur lesquels on se déhanche, on chante, créant des liens inattendus. Il y a, enfin, ces artistes qui ont porté tou·te·s les membres du groupe, les ont inspiré·e·s, leur ont donné envie d’être là, ensemble, avec nous, de partager. Ainsi, We’re parvient à nous faire vivre ce qu’il narre. On ne saurait le dire autrement. Il nous donne de l’énergie, nous questionne, nous fait passer par toutes les émotions… comme les personnages en somme, dont on ne sait plus trop d’ailleurs si ce sont des personnages ou les comédien·ne·s. Sans doute la frontière n’est-elle pas si hermétique qu’on pourrait le penser.

En quittant le Parc de La Bâtie, c’est tout un cocktail d’émotions qui reste en nous. On a le sourie aux lèvres et les larmes aux yeux – des émotions qui reviennent d’ailleurs au moment d’écrire. C’est tout ce qui rend ce moment si incroyable. C’est tout ce qu’on attend du théâtre.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

We’re here, une trilogie de la Division de la joie, du 12 au 15 juin 2024 au Bois de la Bâtie (spectacle hors les murs du Théâtre Saint-Gervais)

Mise en scène : Lola Giouse

Avec Mathilde Aubineau (en alternance), Géraldine Dupla, Simon Hildebrand, Mattéo Giouse, Cédric Leproust, Anka Luhmann (en alternance), Enéas Paredes (en alternance), Neyda Paredes (en alternance) et Martin Perret

https://saintgervais.ch/spectacle/true-faith

Photos : © Coucou studio-Annabelle Zermatten

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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