Les réverbères : arts vivants

Yoann Provenzano : psychanalyse par le rire

Naître, grandir, évoluer, mourir – des étapes de l’existence. Yoann Provenzano les fait siennes dans son dernier spectacle, Vie, encore en rodage. Les 11 et 12 octobre, il était au Caustic Comedy Club pour tester ses gags. Un grand moment !

Pour moi, le rodage de Vie a été le one-man-show des premières fois. Pourquoi ? La liste est non exhaustive, mais comporte entre autres : pleurer de rire et ne plus arriver à respirer après seulement sept minutes de spectacle (montre en main), se cogner la tête sur l’épaule de son voisin (heureusement consentant) en essayant de reprendre son souffle, assister en direct à 1) des clashs (gratuits mais gentils) entre un public et son humoriste, 2) une psychanalyse collective par le rire et 3) la gestation d’un spectacle (petit carnet et enregistrement à l’appui). Bref, une série de « premières fois » qui ne m’a pas laissée indifférente.

Ces « premières fois », je les dois à Yoann Provenzano, humoriste vaudois (hé oui ! l’accent ressort souvent – volontairement – et les piques envers les Genevois-bien-trop-français-pour-leur-bien sont savoureuses !) de 27 ans. J’insiste sur l’âge, car c’est le point d’entrée dans Vie. Le spectacle, s’il met évidemment l’humour au premier plan, est également l’occasion d’un questionnement sur cette vie que Yoann appréhende avec un sérieux d’adulte désabusé et un amusement tout enfantin.

La vie, la vraie

Vie nous parle donc de l’âge – 27 ans, celui où on commence (ou pas) à penser aux enfants (pour en avoir, hein, pas dans l’absolu !)… surtout si on est en couple depuis en moment. De la gestation de sa propre mère (un terrain glissant où l’humoriste hésite à s’embarquer, on le comprend !) à celle d’une maman éléphant (avec récit savoureux des premiers instants d’un éléphanteau, ou quand la chaîne Animaux s’invite au Caustic !), des rapports parents-enfants à la gestion de son couple (comment relancer la flamme en faisant l’amour dans une douche, ou les vérités mensongères du porno), les gags servent autant à mettre en valeur des instants dans lesquelles chacun peut se retrouver qu’à détendre l’atmosphère et à susciter la réflexion.

Si Yoann Provenzano vire parfois dans le graveleux et l’irrévérencieux, c’est toujours sans méchanceté, avec une touche d’autodérision et d’entrain qui achève de conquérir. Se moquant autant de lui-même que de ses contemporains, des spectateurs que de ses proches, il le fait sans acrimonie ni irrespect, respectant les limites de l’intimité sans céder à la censure bien-pensante de la liberté d’expression humoristique. L’humour comme art d’équilibriste.

Le rodage, une psychanalyse

Pourtant, si Vie m’a tellement fait rire, ce n’est pas tant pour le rythme et l’originalité de ses gags (qui comportait, comme souvent, une bonne dose de jeu sur les accents des uns et des autres) que pour son format si particulier. Le rodage permet en effet à l’artiste une grande liberté qui rapproche davantage de l’exercice d’impro ou du format web que du spectacle écrit. Yoann Provenzano en joue et prévient clairement son public, l’avertissant en substance : « Ce spectacle est enregistré à des fins commerciales et artistiques. Vous avez payé pour voir un gars tester des gags. Si vous revenez après le rodage, ce sera encore mieux ! »

Cette formule permet toutes les interactions, le jeu de questions-réponses avec le public apportant un rythme nouveau, qui se superpose à celui des sketchs. Très vite, Yoann Provenzano identifie quelques « têtes » parmi les spectateurs : il dialogue avec eux, rebondissant sur leurs réponses… et se prend même des vents bien mérités, il le reconnaît lui-même. Qu’importe : on est là pour tester ! Son petit carnet lui sert de boussole pour ne pas perdre le fil prévu, pour noter les idées qui germent et celles qui sont à abandonner. Peu à peu, ce dialogue lui permet de se livrer et d’entrer dans l’intimité de son public, à la manière d’un psy qui se servirait du rire pour aider son patient à évoluer. Seul regret : que le temps passe trop vite et que le spectacle touche à sa fin !

Donc…

… si vous êtes curieux, que vous n’avez pas froid aux yeux et que vous aimez rire, n’hésitez pas à vous rendre au Caustic, même (et surtout) pour un spectacle affiché comme « en rodage » ! Il y en a pléthore qui créent et qui travaillent sur place, au sein même du théâtre : Cinzia Cattaneo, Bruno Peki, Nadim Kayne, Kevin Eyer ou encore Thibaut Agoston. Ce genre de format recèle bien des surprises (on saluera également la présence de Cinzia, en première partie de Vie) qui méritent d’être vues.

Et c’est l’occasion idéale d’entrer dans la tête d’un humoriste !

Magali Bossi

Infos pratiques :

Vie (en rodage), de Yoann Provenzano, les 11 et 12 octobre 2019 au Caustic Comedy Club.

Jeu et conception : Yoann Provenzano

https://www.causticcomedyclub.com

Photos : © Caustic Comedy Club

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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