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Antoinette Rychner : Peu importe où nous sommes

« Je tiendrai. Et n’aurai cesse de m’étonner d’y parvenir, surmontant vagues d’abattements, coups de barres, tremblements et vertiges – cramponnée à toi autant que tu t’accroches à moi .» (« Septembre », p. 39)

Le nom d’Antoinette Rychner ne vous est peut-être pas inconnu ; si vous êtes un adepte de France 5, vous l’aurez déjà rencontrée dans l’émission de François Busnel, La Grande Librairie, notamment pour son dernier roman, Après le monde. Et plus proche de chez nous ? L’autrice fait partie des nommés pour le Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne 2020. Mais aujourd’hui, nous allons parler d’un de ses derniers livres, plus discret : Peu importe où nous sommes, publié en novembre 2019 aux Éditions d’Autre Part.

Si Après le monde prend comme sujet principal la fin du monde, Peu importe où nous sommes en parle également, en quelque sorte : Antoinette Rychner nous propose un témoignage sur la maladie de son fils aîné, Aloys, atteint par une leucémie qui l’a frappé de plein fouet en 2018. Dans ce témoignage romancé, l’autrice nous raconte la découverte de la maladie, mais aussi l’articulation des journées autour des soins.

Ce témoignage est écrit à la deuxième personne du singulier et ceci pour une raison bien définie : il s’agit est en réalité d’une lettre adressé au fils cadet d’Antoinette, Benjamin, alors bébé au moment de ce raz-de-marée. Un enfant un peu mis de côté pendant que toute l’attention se portait principalement sur son frère malade. Ainsi, cette lettre, en quelque sorte, est une reconnaissance envers Benjamin.

« Tu sais, je crois que tu es la première à parler de Benjamin, et ça me fait du bien. Je crois que pour tout parent de plusieurs enfants, c’est un challenge de gérer l’égalité d’attention et de traitement, mais dans une situation comme celle que nous sommes en train de vivre tout particulièrement. Il est naturel que la maladie prenne presque toute la place, mais en même temps, je ne trouverais pas juste que Benjamin passe après tout le reste, car il n’y est pour rien… » (« Septembre », p. 37)

Les maladies sont souvent soudaines et frappent au moment où on s’y attend le moins. D’une part, l’autrice nous parle de culpabilité : comment une mère peut-elle ne pas s’apercevoir de la maladie de son enfant ? Depuis combien de temps souffrait-il ? Pourquoi eux et pas une autre famille ? Tant de questions, apaisées par le personnel soignant, les médecins. Malgré tout, la culpabilité ronge. Les maladies infantiles ne sont jamais simples à gérer, tant dans les relations entre membres de la famille que pour l’organisation des journées et du quotidien. C’est bien ce que nous montre ce roman : la maladie prenant au dépourvu toute la famille et l’obligeant à s’adapter, à trouver des solutions afin d’intégrer cette nouvelle donnée dans le quotidien. Un quotidien totalement nouveau, d’ailleurs, où tout est à apprendre. L’écriture, elle aussi, s’adapte à cette situation : de longues phrases énumèrent, rationnalisent, listent tout ce qu’il y a à faire, tout ce qu’il se passe.

D’autre part, dans ce livre, mais également dans Après le monde Antoinette Rychner nous montre que même si la situation semble désespérée, il y a une solution à laquelle nous nous adaptons. C’est notamment le cas lorsqu’elle parle des infirmières qui viennent à domicile : au début, c’était étrange, puis la famille s’est habituée à elles ; elles font partie du tableau. Jusqu’à ne plus les voir, ce qui devient tout aussi étrange :

« Les infirmières à domicile sont si bien assimilées à notre train-train que je ne prends plus, lorsqu’elles débarquent le matin, la peine de troquer mon pyjama contre un jeans et un pull. Les saluant cheveux en pagaille, je leur propose un café avec la même familiarité que si elles avaient dormi dans la pièce d’à côté.  » (« Janvier », p. 120)

Et le fait que l’autrice écrive à son bébé montre d’autant plus que, malgré la maladie, qui donne l’impression que le monde s’écroule, la vie suit son cours. On le remarque d’autant plus que les chapitres du livre sont séparés en partie, calquées sur les mois que dure le traitement. Le récit nous ancre dans le concret et nous enracine dans ce temps qui passe, qui semble être à l’arrêt pour Aloys, mais qui continue de tourner pour Benjamin qui grandit. D’ailleurs, ce livre est également une sorte de témoignage, ce qui le fait entrer en résonnance avec Après le monde. Dans ce dernier roman, la civilisation telle que nous la connaissons a totalement disparue, mais les drames qui ont provoqué cette disparition sont consignés dans un recueil de chants ; dans cette lettre-roman, nous sentons également la volonté des parents de laisser une trace, de pouvoir expliquer à leurs enfants ce qu’il s’est passé, comment eux, parents, ont vécu cette leucémie – ce que cette narration particulière accentue d’autant plus. Même si le « tu » s’adresse à Benjamin, l’autrice nous laisse penser qu’elle s’adresse également à nous et qu’elle nous happe dans ce témoignage.

Il est par ailleurs important de noter qu’à travers son roman, Antoinette Rychner est reconnaissante. Reconnaissante, car dans cette période si compliquée pour sa famille, alors que leurs plannings et vies sont si remplis – « être débordé nous donne souvent l’impression d’“exister”, de vivre intensément, alors qu’à bien y regarder, c’est le signe d’un éparpillement de l’être. Et parfois même une fuite. » (Catherine Rambert) – la volonté d’aider, le soutien a été une source intarissable qui a donné une force insoupçonnée à toute la famille.

Enfin, pour faire un parallèle avec un événement qui nous a tous touché durant cette année, Antoinette Rychner remercie : ses proches, naturellement, mais également, le personnel hospitalier, qui les a aidés à traverser toutes ces épreuves. Nous, nous avions ce printemps l’habitude d’applaudir à 21 heures ; elle, a écrit un livre. Ce témoignage est bouleversant. Par ses propos, mais également sa forme – cette lettre dédiée au fils cadet. Et je dois vous avouer que ma gorge s’est nouée à quelques passages et que mes larmes ont décidé de rouler de temps en temps sur mes joues.

Quoiqu’il en soit, j’espère que vous aimerez ce très beau récit, empreint de légèreté malgré le thème, et de reconnaissance.

                                                                                                   Cédrine Tille

Référence : Antoinette Rychner, Peu importe où nous sommes, Genève, Éditions d’Autre Part, novembre 2019

https://www.dautrepart.ch/livres/rychner_antoinette/peu_importe_ou_nous_sommes.html

Photo : ©Cédrine Tille

Pour aller plus loin :

  • Catherine Rambert, Petite philosophie de paix intérieure, Paris, Livre de Poche, octobre 2010.

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