Le banc : cinéma

High Life: Aller simple de la terre au trou noir

Claire Denis réalise son premier film de science-fiction dans une filmographie riche de 14 longs-métrages et qui a pour habitude de s’approprier des genres cinématographiques. La réalisatrice plonge le spectateur au cœur d’une errance spatiale qui reflète la condition humaine dans un grand dénuement.

Le corps, toujours le corps

 Un père et sa fille vivent dans une navette cubique dérivant au-delà du système solaire, Monte (Robert Pattinson) apprend à son enfant de quelques mois le mot « tabou »; la cinéaste annonce dès le début, comme un avertissement, que son film en sera traversé (peine de mort, viol, infanticide, inceste). Ils sont enfermés dans l’immensité de l’espace à bord d’un vaisseau où des corps cryogénisés sont jetés dans le vide et où un jardin sert de dernier moyen de subsistance. Au travers d’une narration brisée, le film remonte le temps pour montrer les drames qui ont jalonné le voyage constitué initialement d’une petite dizaine de personnes, tous des criminels condamnés à la peine capitale qui ont accepté de participer à une expérience pour trouver des ressources énergétiques pour la terre. Parmi eux se trouve le docteur Dibs (Juliette Binoche), savante possédée par son obsession de reproduction, son but étant de faire naître des bébés dans le vaisseau spatial. Elle va pour cela tout mettre en œuvre pour récolter le sperme des hommes et l’inséminer dans le corps des femmes; rituels d’onanisme dans la fuck box ou viol après administration de drogue. Sa tâche est perçue comme l’unique salut possible de ce groupe étrange constitué d’assassins et de toxicomanes.

Que reste-t-il comme rapports humains dans un environnement fermé et à jamais coupé du monde? Les pulsions. Pulsions sexuelles qui conduisent à un rapport violent et destructeur au corps, corps duquel jaillissent le sperme, le sang, la sueur ou encore le lait, corps couvert de cicatrices ou empaqueté dans des sacs mortuaires. La parole est vaine, la pensée reste en échec, seule compte l’expérience physique que chacun fait de ses propres désirs. Entre un passé intangible et une fatalité implacable, à l’extrême frontière du présent, figure la quintessence d’Eros et de Thanatos, la jouissance sexuelle et la mort deviennent les ultimes moyens d’évasion et d’affirmation de l’existence.

Dans ce quasi huis-clos (il n’y a que quelques images en dehors du vaisseau), Claire Denis explore les tabous et pose les êtres face à leur sentiment de vacuité devant la perte irrémédiable de toute espérance. De la terre il subsiste quelques images décousues, un voyage en train, une forêt, une plage, un match de rugby et un rituel funéraire indien; traces lointaines d’un monde agonisant et qui n’est à jamais plus accessible. À l’autre bout il y a le trou noir. Destination finale. La réalisatrice crée une atmosphère contemplative et introspective grâce à des images très soignées, un cadrage et un montage minutieux – chaque chose est à sa place, rien ne détonne –  et une bande sonore aérienne et hypnotique, autant de recherches formelles extrêmement réfléchies qui font du film une expérience visuelle à part entière.

La critique se divise radicalement au sujet de ce film, chef-d’œuvre pour certains[1] et enfumage pseudo-intellectuel[2] pour d’autres, l’esthétique léchée et la narration vaporeuse du film fascinent les uns et agacent les autres. Lorsqu’un film suscite autant de réactions opposées, il faut toujours aller le voir.

Lou Perret

 Photos : © 2018 Wild Bunch. Tous droits réservés

 High Life de Claire Denis aux cinémas du Grütli

https://www.cinemas-du-grutli.ch

[1]     Cf. l’article du Monde de Jacques Mandelbaum: https://www.lemonde.fr/cinema/article/2018/11/06/high-life-claire-denis-sonde-le-desir-en-apesanteur_5379326_3476.html

[2]     Cf. l’article de David Huxley sur Mondocine: https://mondocine.net/high-life-critique-film-cinema/

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