Les réverbères : arts vivants

Le Pitoeff rend hommage à Hugo

Les Misérables. Ce grand classique de la littérature française décrit la vie de pauvres gens dans la France du XIXe siècle. Un roman centré sur l’histoire du bagnard Jean Valjean. C’est cette œuvre qu’Éric Devanthéry a choisi d’adapter sur la scène du Pitoeff jusqu’au 22 décembre.

« Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, c’est, d’un bout à l’autre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de l’injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de l’appétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au devoir, de l’enfer au ciel, du néant à Dieu. Point de départ : la matière ; point d’arrivée : l’âme. L’hydre au commencement ; l’ange à la fin[1]. »

C’est ainsi que Victor Hugo décrit son roman dans la cinquième partie de l’œuvre. Nul besoin de résumer l’histoire des Misérables, tant cela prendrait du temps. Et pourtant, Éric Devanthéry et toute sa troupe y parviennent en à peine 4 heures.

Une brillante construction

La principale difficulté de l’adaptation théâtrale des Misérables résidait sans doute dans le choix des scènes à jouer, tant l’œuvre est longue et complexe. Il a fallu effectuer quelques coupes dans le texte pour raconter l’essentiel, sans pour autant trop se restreindre, au risque de ne pas respecter l’ouvrage originel. Alternant narration à plusieurs voix et scènes jouées, le metteur en scène parvient à emmener le spectateur dans l’univers d’Hugo et de la France du XIXe siècle.

La narration multiple apporte au texte un certain dynamisme, si bien qu’on ne s’ennuie jamais, alors que rien ne se passe véritablement sur scène, si ce n’est les déplacements des comédiens et des costumes – sur lesquels nous reviendrons. Le choix des scènes jouées concentre l’action sur l’essentiel, sur les moments-clés du roman, de la rencontre de Jean Valjean avec monseigneur Bienvenu à la préparation des barricades – qui aurait peut-être mérité d’être un peu raccourcie – en passant par le sauvetage de Fauchelevent ou encore la récupération de Cosette auprès des Thénardier.

Une scénographie intelligente

Sur la scène, le spectateur aperçoit des cordes, auxquelles sont accrochés une soixantaine de costumes, chacun faisant référence à un ou plusieurs personnages. À mesure que la narration se fait, les costumes montent et descendent, en fonction des forces en présence. Si bien que le spectateur ne se perd jamais dans la multitude de références. Les acteurs enfilent les costumes au moment de jouer les scènes, permettant au public de faire immédiatement le rapprochement avec le personnage incarné. Ce n’était pas une mince affaire que d’y parvenir, et Éric Devanthéry gratifie son public d’une bien belle trouvaille.

À cela s’ajoute une scénographie simple, avec le seul mur de pierre du fond de scène et les bancs sur roulettes auxquels sont accrochées les cordes. Un décor d’une étonnante simplicité qui laisse tout loisir à l’imaginaire du spectateur de développer son univers.

Du Devanthéry pur jus

On connaît bien Éric Devanthéry pour ses mises en scène de Shakespeare – Hamlet ou La nuit des rois pour citer certaines des plus récentes. Il y fait quelques allusions, comparant par moments, à l’aide de brefs apartés, certains personnages à Ophélie ou au prince du Danemark. Surtout, il parvient à ne jamais perdre l’attention du spectateur, en agrémentant la narration de chansons, tantôt tristes, tantôt drôles. On retiendra par exemple le puissant Aux armes et caetera de Melissmell, le bouleversant Mistral gagnant de Renaud, ou l’hilarant Moustache de Philippe Katerine, en référence au physique ingrat de la mère Thénardier.

Des acteurs formidables

On ne serait pas complet sans citer les acteurs, qui portent le spectacle avec une justesse rare. Michel Lavoie est éblouissant dans son rôle de Jean Valjean. Avec sa grande carcasse, il incarne parfaitement la puissance et la force du bagnard, capable de soulever une charrette pour sauver un homme de l’étouffement. Sa grosse voix en impose. À côté de cela, il est capable de transmettre de fortes émotions au public, dans la « Tempête sous un crâne », moment de dilemme où Jean Valjean hésite entre sauver un homme qu’on croit être lui et ne rien dire pour continuer à faire vivre Montreuil-sur-Mer, dont il est devenu le maire sous le nom de M. Madeleine. Et puis, il y a cette scène finale, où il avoue qui il est à Marius, l’époux de Cosette, lui faisant promettre de ne rien dire pour épargner la jeune femme. Une scène conclue par l’émouvant Mistral gagnant de Renaud, qui m’a ému aux larmes.

S’il est brillant dans ce rôle, il est également accompagné par d’autres comédiens formidables : Margot van Hove, qui passe en une fraction de seconde du culotté Gavroche et son inimitable bagou à la douce Cosette, ou David Marchetto, qui joue un Marius tantôt d’abord amoureux transi, qui devient leader de la révolte. Il y a aussi José Ponce, hilarant dans son rôle de Madame Thénardier, Pierre Spuhler, interprétant l’incorruptible Javert et le fourbe Thénardier. On citera encore Rachel Gordy, touchante en Fantine devenue moins que rien et pourtant toujours aimante, et Pierre Dubey, qui fait son apparition lors de la construction de barricade, en tant que révolutionnaire.

Cette belle troupe incarne Les Misérables de Victor Hugo dans une adaptation qui m’a totalement conquis. Le texte d’Hugo est toujours brillant et n’est en rien dénaturé par cette version nouvelle présentée sur la scène du Pitoeff. Les personnages et les émotions sont là, l’imaginaire du spectateur mis à contribution, dans une bouleversante adaptation, qui restera à coup sûr l’un de mes coups de cœur de la saison.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Les Misérables, de Victor Hugo, du 7 au 22 décembre 2018 au Théâtre Pitoeff.

Mise en scène : Eric Devanthéry

Avec Rachel Gordy, Margot van Hove, Pierre Dubey, Michel Lavoie, David Marchetto, José Ponce et Pierre Spuhler

http://pitoeff.ch/miserables.php

Photos : ©Cedric Vincensini

[1] Victor Hugo, Les Misérables, Livre de Poche, 1998 [1862], Cinquième partie, Livre 1, p. 1664.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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