Les réverbères : arts vivants

Sara, une fiction authentique

Sara – Mon histoire vraie (1), c’est le projet de Ludovic Chazaud, avec la compagnie Jean Föhn, à voir jusqu’au 9 décembre à la Comédie de Genève. Une bouleversante histoire d’adolescence, entre fiction et réalité.

Sara. C’est le prénom d’Une amie d’enfance, dont il était amoureux, retrouvée à l’âge de 31 ans. Ludovic lui demande alors de lui raconter une histoire, en détails. Commence alors un récit autour de Magali, une adolescente rejetée, victime d’une mauvaise blague de la part de Sara et ses camarades, qui a duré jusqu’au point de non-retour. Sur la scène se mêlent alors la réalité et la fiction, dans une histoire saisissante.

Mélange de temporalités

Réalité et fiction s’entremêlent, comme les temporalités, si bien qu’on ne sait plus vraiment les démêler. Il en va de même pour les temporalités. Sur la scène de la Comédie, Céline Nidegger et Mathias Glayre (Sara et Ludovic) parlent, racontent ce qu’ils se sont dits. On assiste tout à la fois au récit de l’histoire de Magali et de son harcèlement, Magali à qui on a fait croire que Sébastien, le plus beau garçon du lycée, était amoureux d’elle. Cela a duré des mois. Dans le même temps, les deux comédiens racontent leurs moments intimes, où ils se sont retrouvés, pour que Sara raconte. Et puis, il y a aussi le présent, celui de la transposition scénique au public, avec quelques interventions du metteur en scène, qui précise quelques détails.

Ludovic Chazaud le dit dans son prologue : on est dans le réel, et aucune fiction ne viendra balayer l’importance de cette histoire. Mais quel réel ? Les temporalités se mélangent, se répondent sans cesse, accompagnées par la musique live produite en fond de scène par Cédric Simon, si bien qu’on se perd parfois, laissant notre attention décrocher. Mais bien vite, un mot, une phrase, nous rappelle qu’on est en train d’entendre une histoire terrible, celle d’un harcèlement qui finira mal, très mal.  De la page blanche aux pointes d’obscurité de l’adolescence

Quand la pièce commence, la scène est blanche. Ludovic Chazaud, en préambule, dit ne pas vouloir marcher dessus, de peur de souiller la page blanche sur laquelle va s’écrire le spectacle. Petit à petit, par la présence des deux comédiens et un jeu de lumière parfaitement orchestré, entre ambiance tamisée et flashs violents, on comprend que la joie lumineuse des retrouvailles va bien vite s’étouffer.

On pourrait ici reprocher un espace trop grand. En le restreignant, peut-être aurait-on augmenté le côté intimiste ? Mais cette scène est aussi à l’image du récit : il vagabonde d’un bout à l’autre, sans vraiment de limite, change de temporalité comme dans les méandres de la réflexion, du souvenir de Sara. Cette scène, elle symbolise aussi son monde intérieur. Lumineuse au départ, Sara s’assombrit au fur et à mesure qu’elle raconte les atrocités dont elle a été témoin et auxquelles elle a participé. Son sourire disparaît petit à petit. Elle prend conscience de son rôle de bourreau.

Une fin bouleversante

L’obscurité devient presque oppressante lors de la scène finale. Les deux comédiens sont l’un derrière l’autre, éclairé par les spots sur le côté du plateau. Leurs paroles se mélangent, on comprend comment tout cela a fini : par un viol. Le message devient fort. Si l’on était parfois perdu auparavant, ici, plus possible de papillonner. On reste focalisé sur le propos, terrible, d’une réalité bien trop présente.

Et puis, Ludovic Chazaud revient, concluant son histoire sur la métaphore d’un loup dans les contes pour enfants. Ce loup, apparenté aux bourreaux de Magali, qui n’ont pas vraiment choisi de l’être. L’histoire a fait d’eux des méchants. Et les parents, protecteurs, tenteront de la dissimuler, de la trafiquer, car l’être humain est ainsi fait : malgré sa conscience de la violence envers autrui, il se protège, quitte à, parfois, dépasser les limites et faire souffrir les autres… Et le théâtre reprend le flambeau pour l’illustrer comme aucun autre art n’en est capable.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Sara – mon histoire vraie (1), de Ludovic Chazaud, du 4 au 9 décembre 2018 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : Ludovic Chazaud

Avec Céline Nidegger, Mathias Glayre, Ludovic Chazaud et Cédric Simon.

https://www.comedie.ch/fr/programme/spectacles/sara-mon-histoire-vraie-1

Photos : © Dorothée Thébert Filliger

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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