Les réverbères : arts vivants

Tchekhov revisité… non sans humour

Un ours et La demande en mariage. Ce sont les titres – à peine revus – de deux comédies de Tchekhov, jouées ce week-end à La Parfumerie par 4 comédiens formidables : Antoine Courvoisier, Thomas Diébold, Serge Martin et Mathilde Soutter.

L’ours et Une demande en mariage sont souvent jouées l’une après l’autre. Dans cette adaptation où les déterminants ont été inversés, l’histoire est plus ou moins respectée. Dans Un ours, Elena Ivanovna Popova porte le deuil de son mari, disparu 7 mois plus tôt. Quand arrive Grigori Stépanovitch Smirnov, un propriétaire terrien à qui le défunt devait de l’argent, tout s’emballe. Alors qu’Elena refuse de le recevoir, Grigori décide de rester, jusqu’à ce qu’il soit remboursé, quitte à ce que cela prenne un an. S’ensuivront disputes et autres tensions entre ces deux personnages au caractère explosif, jusqu’au duel final… ou au mariage ! Le mariage, c’est également le thème de la seconde pièce. Lomov vient demander au vieux Stepan Stepanovitch la main de sa fille. Alors qu’il s’apprête déclarer sa flamme à Natalia, la discussion vire à la dispute, d’abord autour de l’appartenance du pré aux vaches, puis des chiens de chasse des deux familles. Tout se termine par un mariage… et une dispute !

Du pur Tchekhov… ou non ?

La force de cette joyeuse troupe et de laisser planer le doute auprès de son public. Se situe-t-on dans la plus pure tradition des pièces du dramaturge russe ? Ou est-on dans une totale revisite ? Sans doute un peu des deux… Avec le talent de ces 4 comédiens, tout est envisageable ! Alors que la première pièce s’ouvre sur le Wicked Game de Chris Isaak et le célèbre : « No, I don’t wanna fall in love », interprété par la puissante voix de Mathilde Soutter, dans le cercueil d’Elena. Accompagné aux maracas par Serge Martin, alias Louka, son valet, la chanson prend immédiatement un aspect comique décalé qu’on retrouvera tout au long du spectacle. Par la suite, et ceci dans les deux pièces, on oscille entre une interprétation qui pourrait être tout à fait classique et une revisite totalement moderne. Les références à la pop-culture, avec des chansons devenues des classiques se font nombreuses. On passe ainsi par Reality de Richard Sanderon, la bande originale de La Boum, ou encore Celebration de Kool and the Gang. On citera également les références qui parlent au public présent et qui, c’est certain, ne figurent pas dans le texte original ; comme ce moment où L’ours commande du whisky-coca, avant de restituer le Montecristo, club bien connu des Genevois. Tout est amené avec une telle subtilité que le décalage n’en est que plus hilarant. Le décor, quant à lui, est épuré : des plantes déposées sur les quelques marches au fond de la salle, une table et deux chaises pour la seconde pièce. Pour le reste, le public se l’imagine aisément avec le jeu des comédiens.

Une grande panoplie comique

Mais surtout, les quatre comédiens parviennent à ajouter de nouvelles dimensions aux farces de Tchekhov, avec leur touche on ne peut plus personnelle. Chacun apporte un nouvel aspect comique dont il a le secret. Ainsi, le comique de répétition est extrêmement présent, avec certaines phrases répétées trois fois sur des tons différents et en accéléré, comme pour insister sur leur pouvoir humoristique pas forcément évident de prime abord. On citera aussi le comique de geste d’Antoine Courvoisier, toujours aussi excellent dans ses mimiques et sa gestuelle, qu’il s’agisse de sa jambe droite qui ne fonctionne plus ou des palpitations dont il est victime sous l’effet du stress. Thomas Diébold, dans un tout autre registre, passe certains moments à marmonner dans sa barbe, comme un enfant énervé qui ressasse, avant d’exploser, tel l’ours mal léché que son rôle lui impose. La seule comédienne de la troupe, Mathilde Soutter, passe d’un registre à l’autre avec une facilité déconcertante. On l’avait adorée dans le rôle de la jeune Anaïs dans Tu comprendras quand tu seras grand. Elle excelle ici dans les deux rôles féminins, explosant quand il le faut, de façon toujours surprenante et dans la justesse qui s’impose. Cette comédienne sait tout jouer, et il n’en fallait pas moins pour donner toute la profondeur comique aux deux rôles qu’elle tient. Enfin, citons l’excellent Serge Martin, qu’on ne présente plus, et qui, avec beaucoup de nonchalance et d’ironie, appuie – avec le ton qu’il faut – les petites remarques de ses personnages.

Ce qu’on retient enfin de ce Tchekhov revisité, c’est la joie de ces comédiens. Leur plaisir de jouer ensemble est communicatif. Ils s’amusent sur scène, leurs regards sont complices et le public répond. Un grand bravo pour tout cela ! Vous les avez ratés ? Ils rejoueront au Boléro de Versoix le 19 janvier, ainsi qu’au Théâtricul de Chêne-Bourg du 5 au 7 mars.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Un ours et La demande en mariage, d’après Anton Tchekhov, du 10 au 12 janvier 2020 à La Parfumerie.

Mise en scène : Collectif C Com Comédies

Avec Antoine Courvoisier, Thomas Diébold, Serge Martin et Mathilde Soutter.

https://www.laparfumerie.ch/evenement/un-ours-et-la-demande-en-mariage/

Photos : © Collectif C Com Comédies / Montage : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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