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Tout, tout de suite : autopsie de la barbarie

« L’énorme machine étatico-policière s’est donc mise en branle. D’où ce mur qu’affronte Yacef, dès ses premiers coups de fil au père d’Élie. Il tient l’otage, qu’il peut liquider, il croit avoir, lui, le caïd, ‘’ les rênes en main’’, et pourtant, très vite, il se trouve en position de quémandeur. Étrange renversement des rôles. » (p. 231)

Alors que les petits braquages et agressions qu’ils ont pour habitude de commettre ne leur rapportent plus assez, la bande de Yacef décide d’enlever un jeune homme. Sous prétexte qu’il est Juif, ils pensent que sa famille a de l’argent, et qu’ils pourront ainsi demander une rançon colossale. Mais ils ne sont pas conscients des réalités, du milieu modeste duquel Élie est issu. Très vite, trop vite, la machine s’emballe. Après 24 jours de séquestration et de brutalités, n’y tenant plus, ils finissent par l’assassiner…

Tout, tout de suite. Problème récurrent de notre société : on veut tout, sans attendre, sans avoir la patience de gravir, pas à pas, les échelons pour atteindre nos buts. En 2006, un jeune français d’origine ivoirienne séquestre un autre jeune français, de confession juive, et finit par l’assassiner. Morgan Sportès s’inspire de ces faits et tente d’en comprendre les raisons, d’en disséquer les étapes, et prend la plume dans cette fiction sans espoir. Tentant de comprendre la logique de la bande, il se questionne surtout sur l’évolution de nos sociétés. Reprenant cette tragique histoire que la presse avait nommée le gang des Barbares, il explore les événements, les réflexions, l’évolution de ce jeune délinquant, dans ce qu’il nomme un « conte de faits ».

Le quatrième de couverture est clair : « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance. Ce livre est une autopsie : celle de nos sociétés saisies par la barbarie. » De nombreux jeunes sont en détresse dans nos sociétés occidentales. Certains se tournent vers l’extrémisme religieux et le djihad, d’autres vers la violence. Rares sont ceux qui s’en sortent. Sans les juger, Morgan Sportès raconte, dans ce roman, leur dérive, comment ils peuvent vite perdre les pédales et le contrôle de la situation. La société n’a pas su répondre aux attentes de certains, le résultat est là : une partie de la jeunesse qui sombre dans la délinquance, dans la violence. C’est une vision certes pessimiste qui se dessine, mais qui décrit bien la réalité de certains. L’auteur cherche à les comprendre. Des petits crimes commis avant, en passant par l’enlèvement, l’assassinat, et tout ce qui s’en suit, toutes les étapes sont passées au crible.

« Les détails de ce récit, relaté par Sniper, correspondent, point pour point, aux résultats de l’autopsie qui eut lieu le même jour, lundi 13 février vers 15 heures, à l’unité de consultation médico-judiciaire de l’hôpital d’Évry (91)… Les blessures trouvées sur le corps de la victime font en effet écho aux coups de couteau que Yacef a dit lui avoir portés. Élie a bien été brûlé par ailleurs (soixante pour cent de son corps comporte des brûlures au deuxième degré). Le liquide employé, cependant, était non de l’essence, mais quelque chose s’approchant de l’alcool à brûler. Au demeurant, il n’est pas mort sur le coup des suites de ces violences. » (p. 330)

 « Autopsie ». C’est bien le mot qui décrit le mieux ce terrifiant roman. Disséquant une à une les étapes de ce crime qui prend bien vite des proportions inattendues, que plus personne ne maîtrise, Morgan Sportès cherche où l’erreur s’est produite, où la société, les parents, ces jeunes, ont raté quelque chose. Sans désigner de coupable, il cherche des éléments de réponse. La conclusion est effrayante : chacun à sa part de responsabilité. Il est temps que cela change.

Effrayant, terrifiant, pessimiste. Nombreux sont les adjectifs qui viennent à l’esprit en lisant Tout, tout de suite. Aucun n’est à hauteur de l’atrocité et de la détresse racontée par la plume de Morgan Sportès, qui signe ici un roman d’une justesse et d’une vérité qui dérangent. Un roman nécessaire.

Fabien Imhof

Référence :

Morgan Sportès, Tout, tout de suite, Paris, Editions Fayard, 2011.

Photos : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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