À la croisée des chemins de la mort
La mort est une question qui nous hante toutes et tous. Dans Hiboux, la Cie Les 3 Points de suspension propose de nous mettre face à face avec elle, pour poser toutes les questions qui nous taraudent. C’était à voir les 20 et 21 novembre à l’Usine à gaz de Nyon.
Hiboux est un spectacle unique, tant il n’est comparable à rien d’autre. Dans les gradins qui entourent une grande table ronde, quelques instruments de musique, des micros et deux ordinateurs, le public s’assied et assiste à un objet difficile à définir. Le flyer parle d’un spectacle / connexion à l’au-delà / tutoriel funéraire. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un séminaire, d’un talk-show, d’une cérémonie ou encore du rassemblement d’un groupe de paroles. Tout ce qu’on sait, c’est que l’on va explorer nos rapports à la mort et les questions qu’on n’a jamais osé poser, qu’elles soient totalement terre à terre ou plus symboliques. Ainsi, un conseiller funéraire pourra nous éclairer sur l’organisation d’une cérémonie, la législation en vigueur ou encore les étapes du deuil. Tous les rapports sont donc abordés : ce qui se passe avant la fin, de la préparation à la cérémonie, à ce qui arrivera à celles et ceux qui restent, en passant par la rédaction du testament. On se questionne aussi sur ce qui se passe pendant et dans les heures qui suivent la mort : comment se déroulera la cérémonie, le défunt peut-il encore communiquer, comment prépare-t-on un corps pour la crémation… Enfin, il y a l’après, cette inconnue pour toutes et tous : la rencontre avec le conseiller funéraire, mais aussi ce qui se passe une fois qu’on est passé de l’autre côté, la vie éternelle ou non. Hiboux, c’est un peu de tout cela à la fois, pour un moment unique, souvent absurde, mais qui ne peut pas laisser indifférent.
Désamorcer par le rire
Une question s’impose : pourquoi ce titre ? Simplement parce que c’est le nom donné à la salle par les trois comédiens qui nous accueillent. Le hibou symbolise à la fois la sagesse, la mort imminente, la triste, l’obscurité, mais aussi la solitude ; il est encore souvent lié à la sorcellerie et à la magie noire. Dans cette pièce donc, Jérôme Colloud, le maître de cérémonie, Cédric Cambon, conseiller funéraire et Renaud Vincent, musicien et habilleur sonore dirons-nous, nous accueillent et rient du sujet. Leur objectif ? Mettre en confiance le public pour qu’il se sente à l’aise, libre et inclus. Pour ce faire, quoi de mieux que de le faire rire ? Ainsi, le ton souvent décalé, voire absurde des comédiens tend à ce but. Le point culminant étant sans doute la création, sur le moment et en totale improvisation, d’une cérémonie funéraire pour un·e volontaire parmi les spectateur·trice·s. Et selon les réponses apportées aux questions, on peut être surpris·e…
On dit souvent que la musique adoucit les mœurs. Cette phrase semble parfaitement adaptée à Hiboux : les morceaux se suivent, accompagnés par l’électronique, l’accordéon, un saxophone, des éléments de batterie… Et les voix des trois comédiens qui se mélangent, souvent menées par celle de Jérôme Colloud – déjà époustouflant l’an dernier au Grütli avec le collectif 3615 Dakota – qui oscille entre grande performance vocale et moments plus absurdes pour embarquer le public dans un moment parfois mystique. Et puis il y a les petits moments d’improvisation, les interactions entre les trois complices et leur public. Avec de grands moments d’absurde, comme lorsqu’un certain Fred revient de l’au-delà pour ne pas vraiment répondre à nos interrogations…
Réamorcer par l’émotion
Mais Hiboux n’est pas qu’un spectacle drôle. Il a aussi un véritable fond. Le sujet est grave et on ne peut pas uniquement en rire. C’est là toute la qualité de la Cie Les 3 Points de suspension, qui trouve le juste milieu entre les moments drôles et d’autres plus profonds. Ainsi, l’intervention de Gilles Deleuze, revenu parmi nous lors d’une connexion avec l’au-delà, répondra à de nombreuses questions philosophiques et métaphysiques. Mais l’idée de Hiboux est aussi de permettre à chacun·e de dépasser son rapport à la mort. Et plutôt que de nous transmettre des émotions, celles-ci doivent venir de nous. En cela, Hiboux n’est vraiment pas un spectacle comme les autres. Ainsi, dans un moment de catharsis, nous sommes enjoints à revivre un moment douloureux, en lien avec la mort, pour tenter de le surmonter, et de le mettre derrière nous, sans pour autant l’oublier. Pour y parvenir, la présence de nombreuses autres personnes en train de vivre la même expérience s’avère cruciale. Une osmose, un lien fort se crée, pour amener une part de tendresse au spectacle.
Une chose est certaine : Hiboux, s’il reste assez indéfinissable, est tout sauf un spectacle qui parle de solitude.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Hiboux, de la Cie Les 3 Points de suspension, les 20 et 21 novembre à l’Usine à gaz de Nyon.
Mise en scène : Nicolas Chapoullier
Avec Jérôme Colloud, Renaud Vincent et Cédric Cambon
https://usineagaz.ch/event/hiboux-cie-les-3-points-de-suspension-fr/
Photos : © Michel Wiart (banner) et © Sofi Nadler (inner)