Les réverbères : arts vivants

À la découverte de L’Étincelle

La routine du couple, les dangers de l’ennui… Une trahison. Une double trahison. Qu’en deviendront ces deux hommes, comment affronteront-ils cette nouvelle épreuve ? Voici l’intrigue, signée Mike Bartlett, qui nous est proposé à l’Étincelle, dans la Maison de Quartier de la Jonction, dans Cock.

Il est vendredi soir et je me trouve à la Maison de Quartier de la Jonction. Je prends un café au bar en attendant que le spectacle commence. C’est, comme toutes les maisons de quartier que j’ai visitées, si accueillant, que j’en oublie presque pourquoi je suis là. Sur ce canapé, avec ma tasse, j’aurais pu sortir mon livre et mettre un plaid et y passer la soirée. Mais j’aurais alors loupé un spectacle que j’ai adoré. Spoiler de cet article : c’était superbe, voilà tout.

Le public est assis sur un quadrilatère de gradins, au centre duquel la scène, deux cercles concentriques, se trouve. C’est intime, minimaliste. Intrigant, avec cette musique douce de fond qui me rappelle des tambours. Les acteurs arrivent, ils sont deux et ils sont en couple ; tout de suite commence leur dialogue. Mais quel dialogue, on dirait un duel d’ingéniosités. J’essaie de mémoriser des répliques que je trouve géniales mais je n’y arrive pas ! Le moment où je crois en avoir mémorisé une, déjà l’un des deux en a déjà donné une autre qui est encore plus mémorable !

Premier acte : trahison

La scène est devenue un vrai ring, ça commence à ressembler à un battle entre comédiens. Mais de quoi s’agit-il ? John veut rompre. Tragique, après sept ans de relation amoureuse. Ils ne font que se disputer dernièrement, et puis, ils sont trop différents l’un de l’autre. H (pour Homme, car son nom n’est jamais prononcé) est choqué, il ne s’attendait pas à ça, il ne lâchera pas l’affaire comme ça et ne tombera qu’en se battant. Mais, finalement, il est clair que ce couple ne peut plus fonctionner : John s’en va, H ne le retient plus. S’il n’est pas heureux, qu’il s’en aille.

Deux semaines passent, et soudain John revient vers H et l’implore pour qu’ils se remettent ensemble. Il lui a manqué. C’est lui sa personne, il le sait. H ne cède pas, il sent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette histoire. John lui a ramené un cadeau pour se faire pardonner… Un tableau si moche qu’il ne peut y voir qu’une manœuvre de distraction. Alors, H commence à creuser, creuser, jusqu’à ce que John confesse… Il a couché avec quelqu’un, pendant ce temps éloigné de H. Bon, ils n’étaient plus ensemble, alors bon, ça devrait être surmontable. Sauf que… John cache quelque chose d’autre. Quoi ? QUOI ? UNE FEMME ? IL A COUCHÉ AVEC UNE FEMME ?

Révélation douloureuse pour H. Il ne peut pas comprendre comment son copain, son petit-ami depuis si longtemps, qu’il est sensé connaître à la perfection, a fini dans les bras d’une femme. Il n’est pas du tout ouvert à l’idée de la bisexualité, même si ce concept n’est mentionné à aucun moment dans l’œuvre. C’est soit l’un, soit l’autre.

John essaie de s’expliquer, non mais H tu comprends, c’est une femme très virile ; il décrit une caricature totale, pour rassurer H. Et John continue à le persuader de le laisser retourner dans sa vie, de le remettre « sur le droit chemin ». Réplique de H (approximative) : non mais sur le droit chemin, tu t’y es remis tout seul ! C’est drôle parce que l’on dit straight comme opposé de queer, en anglais. Straight comme dans droit, aussi. Le droit chemin… Bon, vous aurez bien compris.

H finit par céder. Il veut bien de John dans sa vie, après tout, il l’aime et il le désire encore, mais il a besoin de se convaincre de l’engagement de John. John doit faire un choix : soit lui, soit la mystérieuse femme. Mais pas les deux. Noir.

Deuxième acte : un amour naît

La scène revient, avec cette fois-ci John et une femme. Du bruit de trains. Ils sont à la gare. Leurs yeux se croisent, et ils se regardent, gênés. Une, deux fois. Finalement, la femme (F, sans nom aussi), explique à John qu’en fait elle le reconnait parce qu’ils se voient tous les jours en allant au travail. Ils se croisent souvent, oui. Nous avons remonté le temps, au moment où John a quitté H et essaie de vivre avec cette décision.

Sous nos yeux, une conversation infiniment plus douce se développe, un baume après les terribles discussions entre John et H. Au contraire, John et F, c’est doux, posé ; ils discutent dans un bar maintenant, rient ensemble, les yeux dans les yeux… F sait qu’il est gay, mais il y a une tension entre eux, c’est inexplicable. Ou peut-être que non, en fait, c’est très simple à expliquer, ils ont une chimie incroyable. Ils partent, direction chez F.

John découvre le sexe avec une femme. Il parle trop, il réfléchit trop, mais il se rend compte qu’il est heureux avec cette femme, en partageant son lit. Mais non, c’est impossible, il n’en veut pas de ça, il veut retourner avec H, oui, il en est sûr, ce ne sont que des fantaisies de vie « normale » (son choix de mot, pas le mien) avec F. Mais ils passent beaucoup de temps ensemble, tous les deux. Deux semaines passent. Nous revoilà au présent. John revient vers H et évite F. Il croit qu’elle le suit, car elle est passionnément amoureuse de lui, mais en fait il ne fait que la voir tous les jours sur le quai, comme avant. Il est histrionique, tellement de sentiments qui prennent toute la place en même temps dans sa tête, dans son corps.

L’explosion arrive : H veut rencontrer cette femme qui provoque tout ceci dans John. Un dîner s’organise, le duel dont le prix est l’amour inconditionnel de John se met en place.

Troisième acte : du vin blanc ou du vin rouge ?

Le jour du dîner arrive. H oblige John à lui promettre de renvoyer cette virile femme chez elle et de le choisir lui. F arrive, et elle fait pareil de son côté : quand le dessert sera servi, John la choisira elle et ils partiront ensemble, vers leur futur avec des enfants et tout ce qu’ils ont construit ensemble dans leur imagination ces dernières semaines.

Quand F et H se retrouvent face à face, c’est un duel de coqs. D’où le titre de la pièce, bien sûr. En fait, F n’est pas du tout virile, John. En fait, elle-même tout le contraire de virile, John. Elle est même très féminine, avec sa robe moulante. John est tétanisé. Il voit se dérouler ce combat pour son caprice, devant lui, et il reste impuissant. Il ne fait qu’essayer de les distraire, de parler du dîner que H a préparé, ou bien du vin qu’ils devraient choisir.

Une pause technique : le père de H arrive. H l’a invité pour ne pas se retrouver seul dans cette situation, deux contre un. Le combat lui paraît plus équilibré, maintenant.

C’est chaotique, ça s’insulte de façon voilée, rien ne se résout. John perd la tête. Il ne sait plus qui il est, qui il a été toute sa vie, ce qu’il veut. Ou qui il veut.

Je m’arrête sur ce cliffhanger. Vous pouvez imaginer ce qu’il se passe ensuite, ou bien vous pouvez aller le découvrir de la main de Uchenna Kessi, Aurélia Platon, Nadim Ahmed et Serge Fouha.

Un drame du début à la fin, avec un jeu d’acteur·ice·s incroyable. La scène pousse à l’intimité : le public devient un étrange voyeur à têtes multiples qui espionne dans la plus poignante vulnérabilité de ces personnages. Car, après tout, ils mettent à nu leurs peurs, leurs désirs, leurs insécurités. Devant nous, pour nous.

Alicia del Barrio

Infos pratiques :

Cock, de Mike Bartlett, adapté par Kelly Rivière, Production Cie Kuro. Co-production TU – Théâtre de l’Usine, du 24 au 27 janvier 2024 à L’Étincelle – Maison de quartier de la Jonction.

Mise en scène : Uchenna Kessi

Avec Uchenna Kessi, Aurélia Platon, Nadim Ahmed, Serge Fouha

https://mqj.ch/evenements/spectacle-cock/2024-01-26/

Photos : © Eden Levi Am| DR

Alicia del Barrio Montañés

Thésarde qui cherche à s'évader de son laboratoire, lectrice avide et grande admiratrice de l'offre culturelle genevoise. Un mix triomphant qui a poussé Alicia à écrire sur ses découvertes cinématiques et théâtrales !

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