Les réverbères : arts vivants

À la Mort, à la Vie, dans Au bout du couloir, la mer

Pour la troisième saison consécutive, la Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour des créations de la saison. Nous suivons cette fois-ci l’équipe de Karelle Ménine durant l’une des répétitions de Au bout du couloir, la mer, un spectacle qui mêle les arts pour questionner notre rapport à la Vie et à la Mort.

Il sera question de l’intime à Saint-Gervais, dès le 21 novembre. Le pitch est le suivant : dans sa cellule texane, N., condamné à mort, écoute une émission de radio qui lui est consacrée. Tout le monde peut alors lui lire une dernière lettre ou un ultime témoignage. C’est dans ce moment de latence que prend place Au bout du couloir, la mer, Avec la comédienne Mélina Martin, la danseuse Marthe Krummenacher, la musicienne Viva Sanchez et le spécialiste des lumières Jonathan O’Hear, accompagné de Marek Chojecki, Karelle Ménine ouvre le cœur de la réflexion autour de cette thématique si dure, si intime, mais qui nous réunit toutes et tous.

Lorsque j’arrive dans la salle de répétition du sixième étage, en ce jeudi après-midi pluvieux, je découvre, au centre du plateau, un micro sur pied et un énorme ampli. Dans la salle, tout le monde s’affaire : David Poissonnier, à la régie son, règle le micro de Mélina ; Karelle scotche le câble de l’ampli au sol ; pour que tout le monde puisse se déplacer librement, Marthe s’échauffe, occupant tout l’espace ; Viva effectue quelques réglages sur son ordinateur près du piano, avant de tester un drôle d’instrument – une boîte à bourdons – qui donnera sa trame sonore à la pièce ; les lumières semblent prêtes… On retrouve ici les différents éléments composant le spectacle, comme disséminés avant de se retrouver pour former un tout cohérent.

Le début de la pièce se jouera en extérieur, sur la place Simon-Goulart. Dans une forme d’onirisme, Marek endossera un costume de monstre, fait de lumières. On ne nous en dit pas plus pour le moment, car cet après-midi-là est consacré à un filage de l’acte 2, suivi de l’acte 3, après mon départ. La première n’ayant lieu que près de trois semaines après, le moment est encore aux essais, à l’organisation, avec de nombreuses discussions sur la gestion du temps. Le public arrivera dans la salle depuis l’extérieur : il faut donc savoir qui sera déjà présent·e, quel son sera diffusé… Le souci du détail est permanent, comme en témoigne cette discussion sur la couleur du micro de Mélina. On échange alors sur la manière de procéder : va-t-on jouer d’une traite, avant que Karelle ne fasse des retours, ou vaut-il mieux séquencer et reprendre chaque partie selon ce qu’il reste à travailler ? Karelle, qui dirige la troupe et signe également l’écriture du spectacle, chapeaute le tout : c’est elle qui organise, donne les timings, en précisant à quel moment l’une commence, par rapport à ce que fait l’autre… On l’entend communiquer énormément, questionner aussi chacune des membres de l’équipe, confirmer ou non ce qui lui est proposé.

Les discussions se développent sur les transitions, notamment avec l’entrée du public, mais aussi entre les mouvements de la danse, du texte et de la musique ; et l’occupation de l’espace. On teste, on reprend, pour voir ce qui fonctionne ou non. En coordonnant toutes les facettes du spectacle, il faut trouver les bons timings, mais aussi les déplacements et la gestuelle adéquate. Pour ce faire, on fait des tests de son, avec des changements de voix, pour figurer la radio ou le personnage, tout en coordonnant le tout avec Viva et sa musique, afin qu’on parvienne à tout entendre. Karelle insiste alors sur le côté fragile du projet, étant encore dans cette phase de répétitions, dans un moment où il est encore opportun de tester des choses. Son rôle est alors prépondérant : elle donne des conseils, offre un regard extérieur, tout en ayant une vue d’ensemble sur le tout.

Dans la pièce du sixième étage, les portes des armoires murales sont ouvertes pour figurer des cellules. Dans ce décor, Karelle a une idée très claire de ce qu’elle veut, on la voit donc questionner et chercher dans les détails : il faut que Marthe soit visible, que l’équilibre entre le son des instruments et de la voix soit bien présent, tout en comptant que Viva cherche aussi les meilleures variations avec son instrument. On doit alors prendre en compte l’origine du son, à savoir d’où il est projeté, afin que tout le monde dans le public puisse entendre comme on le souhaiterait, où qu’il soit placé. Karelle n’hésite alors pas à se déplacer dans l’espace, pour avoir une meilleure vision d’ensemble, tout en demandant aux autres personnes présentes – moi y compris, comment le son nous parvient.

Sur le plateau, donc, la comédienne et la danseuse se partagent l’espace et interagissent : le corps doit répondre aux mots et inversement. Comment fait-on, concrètement ? Le son, lui aussi, peut marquer certains changements. On cherche l’évolution du geste, du regard, pour montrer la rage du personnage qui se développe. Le corps exprime le passé, son histoire : l’évolution depuis l’enfance et de l’adolescence. L’acte 2 raconte alors l’arrivée de N. dans la bande, comment il s’est rapproché de l’enfermement, sans avoir conscience du danger. Pour que tout le monde comprenne cette histoire, on réfléchit au placement de Mélina et de Marthe, mais aussi à celui des chaises du public : selon où on se trouve, la perception peut être complètement modifiée, selon les ombres qui se dessinent. Les difficultés viennent aussi de la lumière du jour, un problème qui ne devrait pas se poser quand le public sera là. Il faut donc en tenir compte !

Durant l’après-midi, Karelle n’a de cesse de répéter que « tout est frais, on cherche encore ! ». Un grand moment de la répétition se consacre alors à la danse : Marthe doit parvenir à exprimer à la fois cette envie de bouger, de liberté, mais aussi la contrainte entraînée par la prison. On cherche alors les regards au public, le moment où la capuche se dresse sur la tête et de quelle manière, les pauses dans le mouvement, en réponse à la musique… Les tentatives concernent alors aussi les sonorités, plus graves ou plus aiguës. On travaille sur l’univers sonore pour raconter quelque chose et indiquer également à la comédienne, de façon plus concrète, à quel moment elle doit commencer ses répliques. Les liens se tissent alors entre les différentes composantes du spectacle, en cherchant toutes les variations possibles. Et l’on perçoit déjà une différence énorme entre le début de la répétition et la suite de l’après-midi.

Ce qu’on retient surtout de ce moment, c’est tout ce que raconte le contexte : le corps, les regards, la musique, les mouvements… Marthe Krummenacher, à cet égard, verbalise beaucoup la réflexion qu’entraîne sa gestuelle. S’ensuite alors un échange particulièrement intéressant entre et le regard extérieur de Karelle Ménine. On comprend à quel point chaque élément est central, d’autant plus dans un spectacle mêlant autant d’arts différents. Et si l’on est encore en recherche à ce moment-là, on a hâte de découvrir le résultat lors de la première du 21 novembre !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Au bout du couloir, la mer, de Karelle Ménine, du 21 au 26 novembre 2023 à la Maison Saint-Gervais, dans le cadre du Festival Les Créatives et de la Semaine des droits humains.

Mise en scène : Karelle Ménine

Avec Marthe Krummenacher, Mélina Martin et Viva Sanchez

https://saintgervais.ch/spectacle/au-bout-du-couloir-la-mer

Photos : © Karelle Ménine

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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