Les réverbères : arts vivants

Jusque-là, ça va… pas.

Ou une approche de la violence de la capitalogieKrach, mis en scène par Guillaume Miramond au POCHE/GVE jusqu’au 12 novembre.

L’homme fait les cents pas dans une des salles d’attente du monde. Une salle qui n’est encombrée que par les ressentis du personnage. Costume-cravate, chaussures cirées, coupe de cheveux étudiée, travaillée, le quidam, type personnage de la série Mad Men, semble tout droit sortir du quartier des banques, secteur Pictet, Lombard-Odier. Le voici face à un mur sur lequel il projette son ombre et une logorrhée amère. C’est un peu Les Soliloques du Pauvre de Jean Rictus version pognon. Enfin, le pognon des autres.

Sur des tréteaux vides, de hautes lignes verticales en fond de scène divisent les choses, rappelant les forces architecturales des immeubles de verre qui constituent le nombril des villes d’affaires construites au mètre-cube. Une scène donc offerte entièrement au jeu, à la mise en scène, tel que le concevait Adolphe Appia pour Jean Vilar : acteur, espace, lumière.

Le texte est porté par un magnifique et jeune acteur : Yann Philipona. Il excelle tant dans les grandes tirades, que dans le seul-en-scène. Virevoltant, précis, jouant tant de la voix que de son corps, le comédien prend le public avec lui, l’emmène d’un bout à l’autre du spectacle.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas dans Krach ? La vie des oppressés, serveurs corvéables du capitalisme crasse, la vie des hommes et des femmes soumis·es aux odes de la publicité. C’est un peu la chanson de Souchon, qui mettait lui aussi en évidence et en musique : On nous fait croire, que le bonheur c’est d’avoir. Une vie banale, qui passe avec ses stances : annuelles, mensuelles, journalières et selon la pendule. La vie avec un mode d’emploi proposé par le guide Marabout aux éditions La Déprime.

Si le texte de Philippe Malone tape sur un clou dont la tête est depuis longtemps noyée dans le bois, l’auteur propose une version intéressante, renversant l’image de celui qui saute du trentième étage en répétant à chaque niveau : Jusqu’ici, ça va. Jusqu’ici, ça va. Philippe Malone propose une chute sans fin : Jusque-là, ça va pas. Jusque-là, ça va… pas. À l’image de la vie ou d’une carrière, le reflet de l’homme dans les vitres du building ne laisse aucune trace et passe les étages comme on coule jusqu’au niveau du rez. Un rez que nous finirons tous par atteindre. Que faire alors entre notre naissance qui n’est due qu’au hasard et l’inélcutable ? Vers quelle vie bonne faut-il tendre ?

La mise en scène de Guillaume Miramond suit parfaitement le sujet profond du spectacle. Comment se comporter en humain face à certaines facettes du monde, comment garder le désir, ce moteur essentiel à l’homme qui va ? On peut donc cracher, hurler, se cogner, avoir le sentiment de la fatalité, mais quoi qu’il en soit, le monde et son futur sont plus à entreprendre qu’à découvrir.

Une belle mise en scène, un comédien excellent au service d’un texte foisonnant écrit à l’image du second album des Pink Floyd : A saucerful of secret. Un mélange surprenant avec des mots, des phrases aussi denses que la musique hermétique de Syd Barret. Ici, l’auteur tente toutes les pistes possibles.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Krach de Philippe Malone, du 6  au 12 novembre 2023 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Guillaume Miramond

Avec Yann Philipona

Photos : © Carole Parodi

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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