Les réverbères : arts vivants

À la recherche du génie dans L’Affaire Orlando

À La julienne de Plan-les-Ouates, la Cie Ligne 46 emmène son public dans une étrange enquête scientifico-artistique à la recherche du génie, mais aussi de la compréhension de l’altérité. L’Affaire Orlando, un texte librement inspiré de Virginia Woolf, c’est à voir jusqu’au 6 novembre prochain.

En entrant dans la salle de La julienne, disposée pour l’occasion en tri-frontal, quelle n’est pas notre surprise de découvrir le décor entouré de rideaux en plastiques opaques, laissant à peine deviner ce qui se trouve sur la scène. Une scientifique (Lisa Courvallet) finit par les ouvrir, laissant apparaître son laboratoire, au milieu duquel trône… un cadavre, sous un drap blanc. Après avoir méticuleusement nettoyé ses ustensiles, la chercheuse s’adresse enfin à nous, expliquant que sa recherche tourne autour de deux questions : la différence entre les êtres humains et la vie éternelle. Partant de là, elle s’interroge sur la source du génie qui touche certaines personnes. Et alors qu’elle s’apprête à ausculter le cadavre pour découvrir des origines physiologiques du génie, voilà que ce dernier n’est pas mort. Orlando (Jeanne Pasquier) se réveille : homme, femme, être hybride et fuyant, iel se présente comme du liquide, insaisissable. On apprend alors que cet être a plus de 350 ans, qu’iel a rencontré la reine Elizabeth 1ère ainsi que de hauts dignitaires soviétiques… Le spectacle prend dès lors une autre tournure, entre récits du passé et dialogue qui surgit sans véritable contrôle. L’enquête scientifique ne sera plus du tout celle qui était prévue…

Oppositions et contrastes

Le roman de Virginia Woolf qui a inspiré ce spectacle, Orlando a biography se présente sous la forme d’une biographie fictive d’un être androgyne et difficilement définissable, en s’interrogeant notamment sur les rapports entre les sexes dans la société anglaise du XVIe jusqu’au début du XXe. Dans la réécriture de Domenico Carli, cet être prend place dans notre présent, rencontrant cette scientifique et amenant de nouveaux questionnements, sur les rapports entre les genres, mais aussi plus largement sur la question de l’altérité. Celle-ci pourrait partir de cette éternelle opposition entre Arts et Sciences. Orlando évoque ainsi le fait que le génie est toujours lié à l’art. Pour autant, il tend à déconstruire l’idée que celles et ceux qu’on appelle génies sont des êtres à part : d’après lui, tou·te·s ont en commun d’être d’une extrême banalité. À l’opposé, la scientifique demeure persuadée que l’on peut expliquer le génie par un élément physique, raison pour laquelle elle s’obstine à ausculter des cadavres. Dans quel but ? La gloire, bien sûr ! Prouver à tous ces barbus en blouse blanche qu’elle aussi à sa place dans la communauté scientifique. En retrouvant la question du genre, dans un milieu essentiellement masculin…

Mais revenons à cette opposition entre Arts et Sciences, symbolisée par Orlando et la scientifique. Si le but de cette dernière est d’atteindre la gloire, il semble ne rien en être du côté de l’art, qui n’existe que pour lui-même, pour la beauté. Pour faire simple, ce sont des contrastes entre le côté terre-à-terre de la première et les ascendants poétiques de l’autre qui nous marquent dans L’Affaire Orlando. Notamment lorsqu’il est question de beauté et d’amour : alors qu’Orlando ne l’explique pas, faisant référence à des sentiments qui nous dépassent, la scientifique tente d’apporter des réponses rationnelles. Seulement voilà, petit à petit, les frontières qui paraissaient hermétiques vont devenir perméables et glisser, si bien qu’on ne sait plus trop qui est la scientifique et qui est le cobaye. L’objet de l’enquête semble ainsi s’inverser, et Orlando tentera de comprendre les mœurs modernes et l’esprit scientifique à la lumière de ses expériences passées.

Se nourrir l’un l’autre

Ainsi, de la recherche du génie, nous glissons petit à petit vers une tentative de comprendre l’autre, un être opposé. Les réminiscences du passé et l’attirance charnelle et amoureuse qui se développe entre les deux êtres en est sans doute l’une des clés. Chacun·e finit par s’ouvrir à l’autre, partager son expérience et en montrer plus que de prime abord… Beaucoup de questions demeurent toutefois en suspens, et l’objectif du spectacle n’est pas tant d’apporter des réponses que d’ouvrir une réflexion chez le/la spectateur·trice. De nombreux éléments demeurent ainsi irrésolus, mais on ne sort pas de la salle de La julienne frustré·e pour autant. Bien au contraire…

Comme dans l’œuvre originale de Virginia Woolf, on se questionne sur les différences entre les genres, à travers le personnage d’Orlando et de ses relations aux autres. À la lumière de ce qu’on connaît aujourd’hui et qui nous prouve que les frontières ne sont pas aussi hermétiques qu’on le pensait à une époque. Tiens, voilà qui nous rappelle l’opposition première du spectacle et son évolution particulièrement subtile dans la mise en scène de Lucia Placidi… Vous voilà intrigué·e, avec l’envie d’en savoir un peu plus ? On ne peut que vous conseiller de vous rendre à Plan-les-Ouates d’ici au 6 novembre prochain !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

L’Affaire Orlando, de Domenico Carli, d’après Orlando a biography de Virginia Woolf, du 28 octobre au 6 novembre 2022 à la salle de La julienne de Plan-les-Ouates.

Mise en scène : Lucia Placidi

Avec Jeanne Pasquier et Lisa Courvallet

https://www.saisonculturelleplo.ch/affaire-orlando

Photos : © Magali Dougados

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *