Quand les rencontres fortuites influencent l’avenir
Un soir de match, dans un café, alors que le temps paraît suspendu, huit personnages se croisent sans se connaître. Leurs discussions et les expériences partagées pourraient bien leur offrir un regard nouveau sur la vie. Point radiant, à voir au Théâtricul jusqu’au 13 novembre.
28 juin 2021. La Suisse affronte la France à l’Eurofoot, pour ce qui deviendra une date historique pour l’histoire sportive de notre pays : un moment de liesse partagée, un soir un peu magique et hors du temps où un lien s’est créé entre toutes et tous, fans de foot ou non. C’est durant cette soirée que prend place l’intrigue de Point Radiant. Dans un café, Marie-Ange est assise au piano avec son énième verre de whisky que vient de lui servir Amélie, la tenancière et ex-mannequin international. Arrive M. Harry, l’habitué amateur de Scrabble et de foot, qui commande comme toujours son ballon de rouge. Il sera bientôt rejoint par Lou, Eric et Zack, qui forment un drôle de triangle amoureux, aux idéaux politiques bien opposés… Enfin, le couple Dorine et André s’assied et commande une bouteille de champagne. Il y a apparemment quelque chose à fêter, mais quoi ? se demande André… Le temps de cette soirée, tous ces personnages vont se croiser, discuter, échanger sur leur caractère et leurs soucis, qui nous sont dévoilés au fil des conversations et des flashbacks émaillant la pièce. Si le début de soirée paraît banal, on pourrait bien être surpris·e par la tournure que prennent par la suite les événements…
De la légèreté sur un fond grave
À la fin du spectacle, on est interloqué·e par le nombre de thématiques abordées en à peine une heure et demie : maladie, approche de la mort, racisme, dépression, quête identitaire, éco-anxiété, reconversion professionnelle, remise en question du patriarcat, et j’en passe… Ces thèmes, nous les croisons au quotidien, à plus ou moins haute dose. Souvent nous n’en parlons pas, parfois nous les exprimons. Car ils sont graves et loin d’être joyeux. Pourtant, ils hantent nos esprits chaque jour, et nous y pensons forcément. Point radiant serait-elle alors une pièce dramatique ? Loin s’en faut ! L’écriture de Stéphane Michaud et la dynamique des échanges permet d’aborder avec légèreté et humour. Un pari pas évident, mais brillamment relevé par la Cie Cyparis Circus !
On rit d’abord des remarques plus ou moins fines (selon le degré d’alcool dans son sang) de Marie-Ange, qui ne se prive pas de dire tout haut ce qu’elle pense tout bas. Et pour cause : on lui a diagnostiqué un cancer de stade 4, alors autant vivre le temps qui lui reste à fond, non ? On n’oubliera pas M. Harry qui, sous ses airs bougons, cache en réalité un grand cœur. Ses remarques répétées, toujours sous la même forme, quant au fait de pouvoir regarder le match tranquillement ne passent ainsi pas inaperçues. Pas plus que le terme de « p’tit con », qu’il ne cesse de prononcer chaque fois qu’il s’adresse à Eric. Il faut dire qu’avec ses remarques d’extrême-droite, il emm… embête tout le monde. On pourrait d’ailleurs croire son personnage très stéréotypé de prime abord, avec sa haine contre les frontaliers et toutes les personnes qui n’ont pas la peau blanche ; de même qu’André et ses idéaux écologiques presque extrêmes eux aussi pour la planète. Mais Point radiant est un texte bien plus fin que cela : il parvient à dépasser les stéréotypes pour faire évoluer les personnages sur un temps court, en les sortant de leurs carcans et autres idées préconçues. Une fenêtre ouverte au changement, permise sans doute par la tension induite par le match, qui en deviendrait presque un événement sportif secondaire s’il ne nous était pas rappelé régulièrement par les commentaires de David Lemos sur les buts…
Comme une famille
Au fil des rencontres, les personnages se donneront, mutuellement et malgré eux, quelques leçons de vie. M. Harry redonnera ainsi le sourire à Marie-Ange, qui décuvera peu à peu… et les voilà qui se raconteront leurs rêves. Marie-Ange, d’ailleurs, aidera André à relativiser sur le monde et y retrouver un peu de beauté, grâce à des citations philosophiques bien senties. Les trois jeunes ne seront pas en reste : Eric, secoué par M. Harry, s’émancipera petit à petit des idées nauséabondes transmises par son père ; Lou y verra un peu plus clair sur ses envies et sur qui elle est vraiment, en s’éloignant elle aussi des pressions sociales, après une discussion avec Amélie… La tenancière du bar deviendra au bout du compte une sorte de liant entre les clientes et clients qui fréquentent son établissement, avec son oreille toujours attentive et ses conseils qui tombent toujours à-propos, elle qui a tout de même vécu une sacrée expérience en passant des podiums à ce petit bistrot de quartier. Ainsi, entre l’expérience des plus âgé·e·s et la nouvelle conscience du monde des plus jeunes, tous ces personnages en apprendront plus sur eux et elles-mêmes, grâce à ces échanges.
On a beaucoup parlé du rire jusqu’ici. Pourtant, Point radiant, ce sont aussi de grands moments d’émotion, dont le climax est sans doute la déclaration d’amour, en chanson, de Dorine à son mari André, à qui elle cherche à redonner un goût de rire. De ces histoires un peu éclatées naîtra un lien indéfectible entre les différents personnages : leur rassemblement final, pour assister à cette intenable séance de tirs au but, est ainsi loin d’être anodine. On rêverait de connaître la suite… Et la phrase finale prononcée par Amélie résonne alors comme un parfait résumé de la soirée : « C’est comme dans une famille. »
Fabien Imhof
Référence :
Point radiant, de Stéphane Michaud, au Théâtricul du 28 octobre au 13 novembre 2022.
Mise en scène : Stéphane Michaud
Avec Roseline Bals, Pierre Nicole, Séverine Mutter, Pierre Hauser, Elisabeth Ossola, Alexandre Buhler, Dorian Giauque et Elsa Anzules.
https://theatricul.net/12732-2/
Photo : © Cie Cyparis Circus