Les réverbères : arts vivants

À l’Alchimic, on cherche un sens aux rapports de séduction

Avec Yaacobi et Leidental, le Théâtre Alchimic frappe fort en cette rentrée 2023 : une comédie musicale en forme de satire comique, autour des jeux de séduction et des rapports de force au sein du couple, pour un triangle amoureux détonnant !

Tout commence avec une histoire d’amitié : Yaacobi (Martin Jaspar) et Leidental (Christophe Baltus) se retrouvent régulièrement sur le balcon du second nommé pour jouer aux dominos et boire du thé. Jusqu’au jour où Yaacobi comprend qu’il est né… pour vivre ! Alors, il se détache de son ami et rencontre Ruth (Charlotte Filou), dont il tombe amoureux. Problème : Leidental se sent tellement seul qu’il les suit, et tombe lui aussi amoureux de Ruth. Au point que lorsque Yaacobi et Ruth se marient, Leidental s’offre lui-même en cadeau de mariage, créant un triangle amoureux totalement absurde !

Une satire comique

Qu’on se le dise tout de suite : dans Yaacobi et Leidental, tout est fait pour nous faire rire ! Il y a d’abord le texte de Hanokh Levin, brillamment traduit par Laurence Sendrowicz. On y trouve des passages hilarants, et parfois presque choquants : La misogynie, les réflexions sur le corps de Ruth – particulièrement son « Popotin », qui est presque un personnage à part entière – ou les manipulations de cette dernière qu’elle partage ouvertement au public sont légion. Et pour donner encore plus de force à ce texte qui n’en manque pas, Dylan Ferreux a choisi de faire jouer ses comédien·ne·s masqué·e·s, avec perruques. Il y a un côté grotesque, voire clownesque, dans ces visages à moitié recouverts, qui font penser à des marionnettes. Les personnages n’en seraient-ils d’ailleurs pas, tant chacun·e est manipulé·e à un moment ou à un autre par ses pairs…

Yaacobi et Leidental se présente également une comédie musicale, une opérette à la légèreté apparente. Ainsi, tout le spectacle est accompagné par le piano live de Valentine Mercier. On soulignera le joli écho aux rêves déçus de Ruth, qui se présente comme une grande musicienne amatrice de piano, dont la vie n’est que mélodie, avant qu’on ne se rende compte que la réalité n’est pas tout à fait ce qu’elle avait décrit… Bref, les personnages chantent régulièrement, façon Broadway, alternant douceurs et envolées lyriques. Le décor fait d’ailleurs tout pour nous le rappeler : outre l’imposant piano à queue en fond de scène, le lampadaire qui trône au milieu du plateau nous fait penser à Singin’ in the rain, alors que les cadres figurant les différents espaces où évoluent les protagonistes sont entourés de LED, comme sur les panneaux publicitaires des plus belles salles de Music-Hall. Sans oublier la chorégraphie de la chanson d’ouverture, sur l’amitié de Yaacobi et Leidental…

Pas aussi léger qu’il n’y paraît

Pendant une bonne partie du spectacle, on pourrait penser qu’il n’y a qu’une dimension comique à ce spectacle, avec ses personnages un peu stéréotypés et ses situations où le trait est constamment grossi pour nous renvoyer notre réalité en pleine face. Et pourtant… Pourtant, Yaacobi et Leidental apporte une certaine réflexion sur les jeux de séduction et ceux de pouvoir qui s’ensuivent. Ainsi, chacun·e se montre d’abord sous son meilleur jour, qui n’est pas forcément le vrai. Ruth joue de ses charmes, et même exagérément de ses formes généreuses – chapeau aux costumières Irène Schlatter et Laurence Durieux pour avoir créé un « Popotin » digne de Kim Kardashian pour Charlotte Filou – pour séduire les deux hommes, jusqu’au mariage, où, alors qu’elle montre son vrai visage, les rapports de force s’inversent. Désormais, Yaacobi qui lui courait après jusque-là se retrouve en position dominante, et c’est à elle de cravacher pour garder l’attirance de son mari intacte. En forçant le trait dans certains extrêmes, le texte de Hanokh Levin et la mise en scène de Dylan Ferreux tapent juste, là où il faut, pour nous enjoindre, peut-être, à plus de sincérité. Ou nous mettre en garde de ne pas en faire trop lorsqu’on cherche à séduire l’être convoité ?

C’est d’ailleurs la conclusion et les dernières scènes, où le côté absurde laisse petit à petit place à l’émotion, qui donne cet éclairage nouveau au spectacle, venant boucler la boucle. Sans en dévoiler trop ici, on dira simplement que ce spectacle montre que nous, humains, avons tendances à reproduire toujours les mêmes schémas, et que les faux-semblants cachent bien souvent un mal-être et une solitude qu’on refuse bien souvent de dévoiler, pour notre plus grand malheur.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Yaacobi et Leidental, de Hanokh Levin, du 19 janvier au 8 février 2023 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Dylan Ferreux

Avec Christophe Baltus, Charlotte Filou, Martin Jaspar et Valentine Mercier

https://alchimic.ch/yaacobi-et-leidental/

Photos : © Alchimic

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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