La plume : critiqueLa plume : littérature

Un drame peut en cacher d’autres…

« Mais cette fois, la canne a glissé et il n’arrive pas à en saisir l’extrémité en position accroupie. Alors il se couche sur le bloc, tend son bras et parvient sans trop de peine à attraper le bout souple de la canne. Il se relève vivement, tout fier. Mais le moulinet reste accroché dans une fissure. Surpris, le gamin est déséquilibré. Il fait un pas en arrière pour tenter de reprendre pied. » (p. 9)

Tout commence près d’Ucluelet, petite bourgade de l’île de Vancouver, avec la mort du jeune Stewart Kinnaman, en septembre 2015. Un tragique événement dont ses parents ne se relèveront jamais vraiment, et qui donne son titre au roman de Catherine May, Drame à Wally Creek. Deux ans plus tard, lors d’une sortie en kayak, le gendarme Matt Campbell découvre le corps de Cole Kinnaman, le père du petit Stewart, sans vie. Le voilà rapidement rejoint dans son enquête par l’inspectrice Joan Thibault. Ensemble, iels mettront rapidement en avant trois suspects principaux : Isabel Kinnaman, la désormais veuve de Cole, Rob Murray, le meilleur ami de ce dernier, et Chris Relly, un créancier à qui il devait de l’argent après de trop grandes dépenses au casino. Dans cette affaire pleine de rebondissements, de nombreuses zones d’ombres devront être éclaircies, et la condamnation finale s’avérera sans doute un peu hâtive…

Une enquête, mais pas seulement

Drame à Wally Creek est un roman particulièrement bien construit. Les chapitres sont régulièrement datés, et l’on navigue entre le présent de l’enquête et le passé, qu’il s’agisse de celui du couple ou de Matt. Ainsi, le va-et-vient est appuyé par une forte présence de l’indicatif présent, qui nous plonge en immersion dans les différentes temporalités de cette histoire. Si cela peut paraître quelque peu déroutant au début, on se prend bien vite au jeu, et on se plaît à découvrir et comprendre certains éléments avant les enquêteurs. On apprécie également de ne pas rester centrer que sur l’enquête, mais d’en apprendre également plus sur la vie passée de Matt, sa relation avec une femme plus âgée qui s’est mal terminée, avant qu’une nouvelle aventure ne naisse avec l’inspectrice Thibault…

« Il s’imagine, rejoignant Thibault pour une douche très peu orthodoxe. Il sent le grain tiède de sa peau sous ses doigts. Dans la bouche, il a le goût de la sienne, de ses seins, de son entrejambe chaud et laiteux. Les courbes de leurs corps se mettent à danser sur le lit immense, au milieu des coussins incroyablement moelleux. Il ferme les yeux et se laisse emporter… » (p. 197)

Si certains passages sont assez crus, ils apportent d’abord une certaine légèreté au milieu d’une histoire particulièrement sombre. Mais cela ne s’arrête pas là, puisque ces moments plus personnels apportent davantage de profondeur aux personnages, à ces policiers et policières qui sont des être humains avant d’être des enquêteurs. Et au final, cette relation aura plus d’importance dans la diégèse qu’on n’aurait pu le penser.

Un voyage au Canada

Au-delà de tous ces éléments, Catherine May amène également un certain dépaysement bienvenu. On découvre la région autour d’Ucluelet, avec des descriptions précises et vivantes. Si l’autrice évoque dans ses remerciements une part d’invention, la majorité des éléments vient de ses souvenirs et correspond à la vérité, comme la présence d’un lion de mer dans le port de la petite bourgade. Une manière supplémentaire de nous immerger dans cette histoire, en s’imaginant ces magnifiques paysages :

« Une quinzaine de minutes plus tard, l’hydravion longe la côte ouest de l’île, dont les moindres détails se découpent dans la lumière limpide du matin. Campbell a suffisamment étudié la carte pour reconnaître les lieux qu’ils survolent : la baie de Pachena, puis le lac de Nitinat, reliés par des bandes de plages alternant avec des secteurs de petites falaises. Et à l’arrière, partout, la forêt pluviale qui, vue d’en haut, évoque un tapis de mousse. » (p. 75)

Drame à Wally Creek, c’est donc avant tout la jolie plume de Catherine May que l’on découvre, avec une certaine fraîcheur sur un fond bien plus sombre. Il est assez plaisant de ne pas pouvoir tout anticiper, tant les rebondissements s’enchaînent jusqu’à la toute fin, sans oublier la présence des médias sensationnalistes, qui donnent une saveur réaliste à cette enquête si complexe. Un polar avec une belle profondeur humaine à découvrir, donc !

Fabien Imhof

Référence :

Catherine May, Drame à Wally Creek, Éditions Plaisir de lire, collection Frisson, Lausanne, 2020, 331p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *