Heinrich von Kleist à l’honneur au Galpon !
La compagnie Le marcheur sur la Lune, avec Gilles Lambert à la mise en scène, monte entre les murs du Galpon, deux essais profondément existentiels et philosophiques Sur le théâtre de marionnettes précédé de L’élaboration de la pensée par le discours de l’écrivain allemand Heinrich von Kleist, à voir du 17 au 29 janvier.
La parole comme action à part entière
Bruit de tambour dans le foyer du Galpon et voilà que Lionel Brady, sous le masque de Kleist, nous offre une logorrhée philosophique sur l’élaboration de la pensée par le discours.
À la manière d’une plaidoirie, sur une table qui nous rappelle le théâtre de tréteaux, nous assistons à cette manifestation qui fait office de prologue – bien qu’elle se suffise à elle-même – pour ensuite basculer dans la salle et entrer dans l’univers de l’autre essai de Kleist, celui sur le théâtre des marionnettes, dans lequel il est question de la rencontre entre l’auteur lui-même et un dénommé Monsieur C. qui va permettre le dialogue autour des thématiques de la création (artistique et humaine) et de la recherche de la légèreté de l’être.
Le tout avec comme moteur principal de l’action : la parole elle-même.
L’idée vient en parlant
L’élaboration de la pensée par le discours ressemble à un échange épistolaire entre Kleist et un ami à lui qui n’arrivait pas à résoudre ses problèmes par la méditation.
C’est alors que l’auteur développe sa pensée en posant le postulat révolutionnaire que l’idée vient en parlant !
La mise en scène opte pour un choix simple et efficace, qui est de nous livrer ce texte sous forme de discours en donnant l’illusion qu’il se crée dans l’instant… et cela fonctionne grâce au jeu théâtral de Lionel Brady qui joue sur le rythme, cherche ses mots, prend en compte le public.
Et si l’oralité est mise à l’honneur dans ce discours, c’est bien parce que non seulement elle est utile à la raison, mais aussi parce qu’elle est le propre du théâtre.
L’ours danse sous la lune
Le second volet Sur le théâtre de marionnettes entre en résonance avec ce que nous avons entendu juste avant. En effet, les deux hommes, Heinrich et Monsieur C., échangent à deux autour des profondeurs existentielles, avec comme prétexte les poupées inanimées que sont les marionnettes.
Ce tableau s’ouvre sur une danse animale d’un ours qui reviendra à la fin clôturer le spectacle et, tout en faisant tomber le masque et ainsi par cet acte révéler l’illusion théâtrale, l’actrice, ici Luisa Elena Schöfer, prononce cette phrase à la fois gigantesque et vide de sens : nous n’avons pas vraiment de place en ce monde.
Voilà qui vient bien terminer ces deux actes philosophiques en mettant en lumière notre incapacité d’être au monde tout en montrant la rage et l’envie d’y être.
C’est que dans cette partie, il y a une témoin à la scène, existante du début à la fin, que l’on pourrait croire muette mais non, qui vient apporter par sa présence intrigante, énigmatique, une nouvelle profondeur.
Ayant le rôle de servante, qui vient apporter à boire et ranger les tables, elle crée une tension supplémentaire par le regard qu’elle pose tout au long du spectacle et permet d’amener du vivant, du « quotidien » de par ses actes très concrets. Elle est une sorte de point d’appui extrêmement simple, humain dans cette envolée philosophique.
Espace vide
Le metteur en scène et scénographe propose un décor minimal, ou le vide a une présence importante.
La scénographie se résume à deux grands cadres, un placé dans le fond de la scène auquel est suspendu une sphère de lumière faisant immanquablement penser à la lune, l’autre en diagonale. Devant, à cour, quelques tables de jardins, une desserte et le reste se situe dans l’imaginaire de celle.celui qui regarde.
Les éléments scénographiques ainsi que les costumes nous plongent dans l’époque de Kleist, et additionnés à cette langue ancienne parce que de 1810 et particulière des philosophes, les mots parfois flottent et pourraient donner l’impression d’être d’un autre temps, perdus dans cet espace.
Pourtant nous sommes là et nous écoutons, nous les attrapons. Car ces mots sont portés, incarnés par François-Xavier Fernandez-Cavada (dont on se souvient notamment pour sa performance dans La nuit juste avant la forêt) et Lionel Brady avec ferveur et subtilité.
Voilà la proposition de la compagnie Le marcheur sur la lune : un théâtre qui parle d’idées, de pensées, mais qui n’en est pas qu’une, relevant ainsi un défi osé.
Eva Carla Francesca Gattobigio
Infos pratiques :
Mise en scène : Gilles Lambert
Avec Lionel Brady, François-Xavier Fernandez Cavada, Luisa Elena Schöfer, Lou Ciszewski
Photos : Erica Irmler
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