Les réverbères : arts vivants

À l’inverse de tout

C’est ce que je suis en train de vivre – Joie de Vivre de Charles Nouveau à la scène Caecilia jusqu’au 8 juillet 2023, dans le cadre de la Scène Vagabonde Festival.

Sous un permanent panache de fumée, au beau milieu d’un vaste espace, en avant d’une grande ouverture de scène, seul avec une simple chaise qui lui sert de servante, Charles Nouveau entre dans son spectacle avec la claire conscience qu’il a devant lui deux à trois générations de spectateurs. D’ailleurs, en fin observateur, dans les premiers temps, il questionne son public – par applaudissements – selon son habitude afin de localiser les strates générationnelles.

Force est de le constater, la sociologie pouvant venir à la rescousse, les âges sont regroupés : les plus jeunes au poulailler, les plus anciens au parterre.

Car, des générations et des valeurs d’icelles que chacune porte en elle, il va en être question. Ce n’est pas le choc, ce n’est pas l’affrontement, c’est la présentation des joies et des peurs que chaque âge doit s’approprier avec plus ou moins de bonheur.

Charles Nouveau s’empare de ce « mal-être », soulève les questionnements des jeunes adultes et les livres flegmatiquement au public.

Après un début assez classique, pour ne pas dire redondant en évoquant les sempiternelles tensions franco-suisse-romandes, type ancien combattant, les gilets jaunes comme au bistrot et le Covid en cinquième page, Charles Nouveau entre dans le vif de son sujet : avoir trente ans… et alors.

Il le dit de lui-même, il n’a plus vingt ans. Il évoque son corps où les glucides lui développent malignement ses premiers cernes, ses performances sur bien des plans qui diminuent. Ces marqueurs de l’âge modifient son rapport au monde, sa vie intime plus aussi folle qu’antan et mets en évidence le moindre effort dans sa vie érotique ou sportive en lui collant un pernicieux point de côté.

Les éprouvés s’en souviennent, les plus candides s’en amusent, pensant échapper à la règle du temps. Comme le dit Rimbaud : on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Ici, Charles Nouveau fait rire les plus jeunes, amuse les plus anciens. C’est efficace, sans trop de surprise, c’est bien fait sans flamboyance.

Force est de constater que le regard du père plane sur son récit. Il semble que le personnage a eu de la peine à grandir sous un chêne. Trente ans, pas encore adulte, l’image paternelle en permanence au-dessus de lui, il lui reproche d’être là-haut, de n’avoir pas été à ses côtés sans jamais lui-même retourner le tableau. Christian Bobin l’évoquait : L’ingratitude est le signe d’une éducation menée à son terme. À nouveau, le sujet fait rire, sourire ou se souvenir. Le thème est bien amené et porte à la réflexion, mais cela manque un peu de sel.

La liberté. Chacun la réclame, certains la vivent ou l’utilisent. La sexualité et sa parole libérée arrivent sur scène avec l’éloge de la branlette selon Sarcloret où l’onanisme torché au papier de Hollande (Littérature obscène inventée à la nuit) selon Léo Ferré. Charles Nouveau nous parle de ses pratiques, des joies qu’elles lui procurent et de sa satisfaction à l’évoquer : ça lui fait voir la vie en rose. Une évocation sans puissance, qu’elle soit poétique, grivoise, égrillarde ou vulgaire.

C’est au tour de l’engagement personnel que le spectacle évoque. Charles Nouveau le dit : il ne partage pas l’idée d’honneur. Ce sentiment de dignité qui passe par le regard des autres. Un sentiment équivoque que l’on ne peut ni admirer ni mépriser tout à fait. Il évoque ses ancêtres à Verdun, dans la deuxième Division Blindée… C’est la part la plus fine d’analyse du spectacle. L’honneur a fait plus de morts que la honte, dit André Conte-Sponville. L’honneur : Charles Nouveau s’en méfie avec raison. Un moment sensible et profond.

Force est de constater que les rapports que Charles Nouveau entretient avec son public sont francs, directs et sympas. Il apostrophe celui-ci ou celle-là toujours avec un sourire qui permet, et la chose n’est pas si commune, à la personne désignée de ne pas se faire prendre pour cible. C’est un grand confort que l’artiste offre à ses comparses d’un soir.

Joie de Vivre. Un spectacle crée en 2017 sans excès ni fioriture nous dit le dépliant. C’est le langage d’une époque.

« Chaque époque est plus à entreprendre qu’à découvrir. » On peut supposer que c’est que diront ces futurs quinquagénaires que sont les trentenaires d’aujourd’hui.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Joie de Vivre,  de Charles Nouveau, du 28 juin au 8 juillet 2023, à la scène Caecilia, dans le cadre de la Scène Vagabonde Festival

Texte et jeu :  Charles Nouveau

Photos : ©  Scène Vagabonde Festival

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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