Les réverbères : arts vivants

ADN : jeunesse en quête de sens

Bastien Blanchard et sa Compagnie Sous Traitement proposent à la Parfumerie une troisième mise en scène d’un texte de Dennis Kelly. Dans ADN, 11 comédien·ne·s au plateau narrent un événement tragique qui les force à une forme de solidarité, dans une histoire qui les dépasse bien vite…

Tout commence lorsqu’Adam (Dorian Giauque), à qui on pouvait faire faire plus ou moins n’importe quoi, disparaît. Mark (Zacharie Heusler) et Jane (Sara Uslu) racontent à tout le reste du groupe qu’il est mort. En panique face à la situation, John Tate (Bastien Blanchard) décide qu’il ne faut plus prononcer ce mot. Le groupe doit alors trouver une solution, quitte à inventer des mensonges pour masquer la vérité. C’est Phil (Lionel Fournier) qui prendra les choses en main. Paradoxalement, la situation rendra tout le monde plus heureux, pendant un temps du moins. Car avec Dennis Kelly, on se doute que quelque chose finira par tout chambouler. On l’avait déjà vu avec Girls and Boys et L’abattage rituel de Gorge Mastromas. Cette fois-ci, dans le microcosme d’ADN, il faut s’organiser pour avancer et évoluer, malgré les différentes personnalités de ces personnages très typés, à la manière d’une mini-société.

Ne pas sombrer dans la folie

Dès l’entrée dans la salle de la Parfumerie, nous sommes dans l’ambiance : tout est recouvert de bâches en plastique blanc, à l’exception des gradins, où il nous faut prendre place. On pense évidemment à American Psycho, en espérant bien sûr que la violence ne sera pas aussi exacerbée ce soir. Rapidement, au vu du propos, ce décor nous évoque plutôt une forme d’asile. Après l’événement qui déclenche la pièce, le risque est grand de sombrer dans une forme de folie. L’objectif est simple : tout faire pour éviter cela. Plus facile à dire qu’à faire, d’autant plus lorsqu’on s’aperçoit que les personnages d’ADN sont des adolescent·e·s, tou·te·s très typé·e·s, à fleur de peau et encore en quête de leur identité et de leur place dans la société. À bien des égards, iels nous rappellent celles et ceux que l’on voit dans les séries américaines. À la seule différence qu’ici, tou·te·s forment une bande, qui se doit d’être unie.

Dans l’ordre d’apparition, on retrouve d’abord Mark et Jane, qu’on pourrait comparer à bon nombre de duos comiques du théâtre classique : inséparables, iels semblent ne jamais rien prendre au sérieux. Pourtant, iels sont toujours au courant de tout et se révèlent être les annonciateur·ice·s de toutes les (mauvaises) nouvelles. On retrouve ensuite Phil et Léa (Anastasia Fraysse) : le jour et la nuit, le yin et le yang. Lui est mystérieux, avare de mots. Ce taiseux en veste de cuir, tout de noir vêtu est toujours en train de manger, et ne prend la parole que lorsque c’est vraiment nécessaire et que plus personne n’a les mots. Léa, c’est tout l’inverse : véritable moulin à paroles, elle semble d’abord être l’ingénue stéréotypée que l’on voit souvent. Bien vite, on s’aperçoit que sa personnalité est bien plus complexe et profonde qu’il n’y paraît. Difficile pourtant de stopper son impressionnant débit.

Place à John Tate, qui se présente comme le leader du groupe. Du moins, tant que les choses vont bien… Car c’est une chose de jouer les gros durs, c’en est une autre d’assumer lorsque l’adversité survient. Quant à Lou (Mathilde Soutter), elle paraît bien apprêtée, avec ses rollers autour du cou. Discrète, elle est toujours prête à aider tout le monde et à suivre ce que le groupe veut. Tout l’inverse de Danny (Lucien Thévenoz), qui est l’un des seuls à savoir ce qu’il veut : obsédé par les dents, il connaît déjà son futur métier. En tout cas, avant d’en découvrir la réalité… Il nous reste encore à présenter Rita (Carole Lesigne), le pendant féminin de John Tate : véritable terreur, elle semble s’imposer comme la personne froide et insensible par excellence. Avant de dévoiler une véritable empathie pour celles et ceux qui l’entourent. Quant à Cathy (Julia Portier), elle ne vit que pour les caméras. Quelle joie pour elle lorsque la télévision l’interviewe. Prenant des initiatives parfois douteuses, elle pense avant tout à sa popularité. Reste Brian (Matthieu Wenger), ce jeune garçon timide, qui ne demande qu’à être écouté, mais qui peine à trouver sa place au sein du groupe et semble devenir le bouc-émissaire, maintenant qu’Adam n’est plus là…

En voyant tous ces personnages, et après un tel événements, on se dit que tout peut basculer, sans savoir dans quelle direction. Une surprise arrivera effectivement, mais ce n’est pas forcément celle qu’on attendait…

Une jeunesse en quête

Au-delà de ce groupe qui doit faire face à un événement tragique qu’il a lui-même provoqué, le texte de Dennis Kelly nous raconte quelque chose de plus universel. À travers ce microcosme, c’est une véritable représentation de la société qui nous est proposée. Chaque personnage symbolise ainsi un type de personnes, un groupe social, à ceci près que chacun·e est encore en construction, sans être véritablement fixé dans son identité et son avenir. Tou·te·s doivent ainsi évoluer à la fois dans leur individualité, trouver leur voie, et au sein du groupe. Il faut donc se construire en tant qu’individu, tout en gardant à l’esprit les liens qui se définissent entre toutes et tous, qu’il s’agisse de relations amoureuses, amicales ou de sentiments passés. Comment passer à autre chose, évoluer, en voyant cette personne qu’on aimée, au quotidien ? Il s’agit, en quelque sorte, de faire société.

ADN nous raconte aussi que cette société se construit quelque peu malgré elle, dans la douleur, ou du moins face à l’adversité, au moment où cela s’impose. Rien n’était prévu, les événements sont rapidement devenus incontrôlables, avec des conséquences qui n’avaient pas été anticipées. Comme dans n’importe quelle société, il faut donc constamment se réinventer, s’adapter, trouver de nouvelles solutions, évoluer avec ce qui arrive, le tout étant précipité par la dimension tragique de ce qui leur arrive. On évoquera d’ailleurs ici la magnifique scène de la cérémonie en hommage à Adam, où toutes et tous chantent, un bougie à la main, accompagnant la voix de Sélène Gonzalez Dervisevic, qui prend en charge tous les chants enregistrés, donnant telle ou telle couleur à la scène selon le ton employé. Le tout étant magnifié par les lumières de Marc Heimendinger.

Et ce qui devait arriver arriva… le groupe perd des membres, de différentes manières : certain·e·s s’éloignent, changent totalement, d’autres prennent une nouvelle voie. L’un se révèle être un leader inattendu, quand celle-là commence à se soucier des autres, alors qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant. On est alors surpris·e, on apprend, on grandit, on fait des erreurs, on les répare comme on peut, on en refait, on se relève, ou pas… ADN, c’est un peu de tout cela : un spectacle qui nous raconte une construction, progressive, par étapes, des retours en arrière, des échecs, sans savoir complètement où l’on va. Mais on verra bien ce que l’avenir réserve.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

ADN, de Dennis Kelly, du 17 septembre au 6 octobre 2024 à la Parfumerie.

Mise en scène : Bastien Blanchard

Avec Zacharie Heusler, Sara Uslu, Lionel Fournier, Anastasia Fraysse, Bastien Blanchard, Mathilde Soutter, Lucien Thévenoz, Carole Lesigne, Julia Portier, Matthieu Wenger et Dorian Giauque.

https://www.laparfumerie.ch/evenement/adn-texte-dennis-kelly-mes-bastien-blanchard/

Photos : ©Marc Heimendinger

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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