Alice se porte-t-elle À Merveille ?
Nalini Menamkat revisite le conte de Lewis Carroll, pour proposer une réflexion contemporaine sur le développement de l’enfant, en lien avec les attentes des parents. Entre bienveillance, volonté que sa progéniture soit exceptionnelle et nécessité de se conformer à la norme, rien n’est facile pour Alice.
Tout commence par la rencontre entre les parents d’Alice (Céline Goormaghtigh et Etienne Fague) et leurs nouveaux voisins (Sabrina Martin et Baptiste Morisod). Tout semble bien se passer, les deux couples comparent leur vie idéale respective, l’éducation de leurs merveilleux enfants. Jusqu’à ce que la mère demande à Alice (Laurie Comtesse) de réciter son poème. Celle-ci semblant perdue, la mère s’énerve, sûre que sa fille tente des les manipuler… Alice ne comprendre pas pourquoi elle ne suit pas les étapes prévues de son développement, elle que l’on dit trop réservée. Mais alors, que faire ? Sa rencontre avec un drôle d’être qui se plaint d’être toujours en retard et doit livrer des roses à la Reine de Cœur, lui ouvrira le chemin du Pays des Merveilles. Alice part donc en quête d’une rencontre avec la Reine, qui, elle l’espère, pourra lui donner de précieux conseils.
Une véritable revisite
Nalini Menamkat s’appuie sur la trame de cette histoire bien connue pour écrire le texte d’À Merveille. On y retrouve la petite entrée vers le Pays des Merveilles, pour une Alice bien trop grande, mais aussi les personnages hauts en couleurs. À commencer par le lapin, devenu ici un livreur de roses toujours en retard, qu’on reverra régulièrement, car tout à fait emblématique du conte. On évoquera le Chat du Cheshire, qui est sans doute cet être mystérieux, toujours de dos, qui indique le chemin à Alice. Quant à savoir s’il est sain d’esprit ou complètement fou… Dans À Merveille, on fait face à toute une galerie de personnages – on vous garde la surprise des autres – qui mêlent ceux qui harcèlent Alice et ceux qui semblent lui vouloir du bien. Mais au Pays des Merveilles, il faut souvent se méfier des apparences. Et ceux qu’on croyait être nos amis ne le sont pas forcément, parfois malgré eux. On pense évidemment à l’avocate, qui doit défendre Alice au procès, mais retourne bien vite sa veste. Quant à celles et ceux qui semblent savoir pourquoi Alice est arrivée ici, difficile de dégager des certitudes sur leur apparente bienveillance.
Dans cette revisite, ce qui surprend est le rôle central des parents, dont on n’entend pas vraiment parler dans la version de Lewis Carroll. Ici, ils sont présents dès la scène d’ouverture et semblent d’ailleurs souvent en désaccord, entre ce père qui cherche des excuses à tous les comportements d’Alice, et cette mère qui s’emporte trop facilement lorsque sa fille ne répond pas aux attentes. Un duo détonnant qui peut aussi expliquer en partie les difficultés d’Alice. Ce d’autant plus quand on les compare aux nouveaux voisins, apparemment bien sous tous rapports et prônant une éducation parfaite, jusqu’à ce qu’on comprenne que cette image n’est pas forcément correcte… Ce qui est particulièrement intéressant dans la mise en scène de Nalini Menamkat est d’avoir choisi les mêmes comédien·ne·s pour interpréter ces deux couples initiaux et tous les personnages qu’Alice rencontre au Pays des Merveilles. S’agit-il alors de différentes facettes de leur personnalité et de celle d’Alice ? Ou de nouveaux personnages, représentant autant d’étapes de son développement auxquelles elle doit faire face ?
Ce qui importe, c’est le voyage
Alice est donc partie aux Pays des Merveilles pour y rencontrer la Reine de Cœur et trouver des réponses à ses questions. La déception est de mise, face à la dimension tyrannique et égocentrée de la dirigeante des lieux. Sous son apparence d’abord bienveillante, on découvre donc une Reine de Cœur qui n’est pas sans rappeler celle du Disney de notre enfance… Mais cela ne nous rappellerait-il pas la description d’un autre personnage ? Le lien est d’autant plus facile à faire quand on se rend compte qu’elle a la même coiffe – un linge enroulé dans ses cheveux mouillés – que la mère dans la toute première scène du spectacle…
Face à cette rencontre qui la déçoit, Alice – et nous avec – prend conscience que ce sont davantage les rencontres précédentes que celle-ci qui ont forgé son caractère. Obligée de s’exprimer, de se défendre, de laisser ses émotions sortie, qui à pleureur, ou à s’amuser, elle a évolué au fil du chemin, parcourant toutes les étapes de son développement et découvrant ses émotions malgré elle. À Merveille nous raconte dès lors le parcours d’une petite fille, en nous révélant que ledit parcours est propre à chacun·e. Nous sommes toutes et tous différent·e·s, de par différents éléments : contexte familial, lieu où l’on a grandi, entourage, trouble interne, conditions de naissance… Le rôle des parents s’avère prépondérant dans le développement de l’enfant, par leurs attitudes aussi. Pour autant, aucune faute n’est rejetée sur eux : ils ne font pas tout juste, font du mieux qu’ils peuvent. Tant qu’il y a l’amour et l’écoute, chaque enfant peut alors devenir ce qu’il doit devenir.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
À Merveille, de Nalini Menamkat et la Cie d’un instant, du 6 au 15 décembre 2024 au Théâtre du Loup, puis repris le 9 janvier au Théâtre Benno Besson et le 24 janvier au Casino Théâtre de Rolle.
Mise en scène : Nalini Menamkat
Avec Laurie Comtesse, Etienne Fague, Céline Goormaghtigh, Sabrina Martin, Baptiste Morisod
https://theatreduloup.ch/spectacle/a-merveille/
Photos : ©Florent Gaillard