Les réverbères : arts vivants

Amour et utopie face au poids de l’Histoire

Sarah et Qassim s’aiment. Elle est Israélienne, il est Palestinien. Leurs pères désapprouvent cette relation. Sur fond de conflit très actuel, Le Deuxième Mur pose des questions d’héritage et d’identité. Un petit bijou signé Stéphane Michaud et Bastien Hauser, à voir jusqu’au 2 février au Théâtricul.

Dans ce Roméo et Juliette des Temps modernes, Sarah et Qassim font face à une opposition qui les dépasse. Au-delà de la famille, c’est celle de deux peuples, de deux cultures, un conflit ancien et complexe, auquel leur amour tente de s’opposer. Leur relation s’inscrit dans la grande Histoire, et leur lien indéfectible pourrait bien être plus profond qu’il n’y paraît…

Un dispositif scénique immersif

Dans la petite salle du Théâtricul, aucun décor. Une moquette noire habille simplement le sol. Tout sera laissé à l’imagination du spectateur et au pouvoir des formidables comédiens. Disposées de manière quadri-frontale, les places offrent la possibilité de s’immerger totalement dans l’œuvre. Les comédiens sont d’abord assis parmi le public et, si la scène se trouve au centre, le dispositif permet une dimension symbolique forte : chacun fait partie du spectacle. L’Histoire fait partie de chacun de nous, même si nous en sommes éloignés géographiquement. Le quadri-frontal nous le rappelle malgré nous. Ce dispositif implique aussi une idée d’encerclement, comme si les personnages étaient au milieu d’une prison. Prison de leur esprit, prison de leur passé, prison de leur identité. Les barrières sont nombreuses et Le Deuxième mur en induit bien d’autres…

Le poids de l’Histoire

Sarah et Qassim incarnent une jeunesse pleine d’espoir, peut-être utopique. Leur amour suffira-t-il à surmonter un conflit séculaire ? Bien vite, ils comprennent que non. C’est là l’une des forces de ce texte : ne pas tomber dans le mielleux, l’amour plus fort que tout. L’Histoire fait qu’on ne pourra pas tout régler en un instant, par la force de l’amour. Il faudra du temps, et c’est pas à pas, lentement, que les conflits peuvent se résoudre. Alors, Sarah et Qassim veulent en apprendre plus sur leur passé, leur identité. Pour cela, les pères jouent un rôle essentiel. Bien que bornés, d’après leurs enfants, ils n’en demeurent pas moins marqués par ce qu’ils ont vécu, ce qu’on leur a appris. Et cela, rien ne pourra l’effacer. On pourrait les croire enfermés dans le passé ; on pourrait détester ces personnages. Il n’en est rien. Ils sont humains avant tout et ne peuvent lutter contre des idéaux ancrés en eux depuis la naissance, pas après tout ce qu’ils ont enduré.

Une brillante construction

L’histoire du Deuxième mur se construit par bribes, entre le présent de la relation de Sarah et Qassim, ainsi que les flashbacks et souvenirs racontés par les pères à la demande ou non des enfants. Tout se bâtit ainsi petit à petit, et le spectateur comprend toute la complexité du passé des deux pères et les raisons qui les poussent à désapprouver cet amour, qui va droit dans le mur. Alors, on comprend que le père de Qassim est mort depuis longtemps. Si les signes étaient présents, par allusions, on ne pouvait en être certain, jusqu’à ce qu’il raconte, dans un passage bouleversant d’émotion, la façon dont un soldat l’a abattu. Alors, les murs tombent : celui entre le monde des vivants et des morts, qui dialoguent ; le quatrième mur, si cher au théâtre, le public étant pris à parti comme témoin et intervenant ; mais aussi les carapaces. Les deux pères, si durs, dévoilent une surprenante sensibilité, qui les guide finalement depuis le début.

Et au milieu de tout cela, Le Deuxième Mur reste, solide. Ce mur mental, psychologique, qui empêche pour l’instant de dépasser le conflit. Chacun a son vécu, difficile de s’en défaire. Et quand il concerne tout un peuple, cela devient presque impossible.

Sans angélisme, mais avec une véritable sensibilité, le texte de Stéphane Michaud et Bastien Hauser résonne, porté par quatre comédiens magnifiques. Il crie de sincérité. Un spectacle qui n’apporte pas vraiment de solution mais fait état, dans une dimension plus personnelle, plus humaine, d’un conflit qui nous dépasse tous. Je retiendrai finalement le dialogue final entre les deux pères, dont la teneur ne doit pas être dévoilée ici. Je conclurai donc par une citation de Laetitia Barras qui résume bien le sentiment que j’avais en sortant du Théâtricul : « Et si ça avait été différent, qu’est-ce qui aurait été différent ?[1] »

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le Deuxième Mur, de Stéphane Michaud et Bastien Hauser, du 16 janvier au 2 février 2020 au Théâtricul.

Mise en scène : Stéphane Michaud

Avec Salomé Joly, Guillaume Tschuy, Pierre Hauser et David Valère

https://www.theatricul.net/

Photos : © Estelle Lligona

[1] Laetitia Barras, Le jour où j’ai tué un chat, spectacle monté en 2015 au Théâtre 2:21 à Lausanne.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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