Les réverbères : arts vivants

An evening with Oscar Wilde

Jusqu’au 8 mars, le Pulloff prend des airs d’une salle miteuse parisienne, dans laquelle Sebastian Melmoth nous accueille pour une conférence, en forme de retour dans le passé à la rencontre d’Oscar Wilde. Une soirée de Délices et de Divertissements.

Dans le texte imaginé par John Gay et excellemment bien traduit par Antoinette Monod et Geoffrey Dyson, Sebastian Melmoth (Geoffrey Dyson), alias Oscar Wilde, vient à la rencontre du public, une lanterne à la main. Le décor, composé d’un vieux tapis miteux, de quelques chaises, d’un coffre et de draps, est à l’image de cet homme qui devient de loin. Après deux ans d’emprisonnement pour crime de sodomie, l’auteur et dramaturge est banni d’Angleterre, renié par tout le monde et complètement isolé. Le voici donc réfugié à Paris où il tente tant bien que mal de survivre. Pendant 1h40, il nous dévoile sa vision du monde, parlant des États-Unis, de l’art, des critiques, du public, de l’évolution de la littérature, du théâtre, récitant des poèmes et narrant de truculentes anecdotes sur ses amants, la prison et d’anciens voyages… Bien que marqué par le poids de ce qui lui est arrivé, il n’a rien perdu de son humour et de la verve de sa plume !

Pamphlet contre les esprits fermés

Sur la scène du Pulloff, nous sommes conviés dans une petite salle du 12, rue de la Pépinière, le soir du 28 novembre 1899, soit un an et deux jours avant la mort d’Oscar Wilde. Lui-même sent que la fin se rapproche, en témoignent les acouphènes de plus en plus important qu’il subit et que l’on entend, de plus en plus violemment, dans la salle, l’affaiblissant petit à petit. Pour autant, sa confession au public ne s’apparente pas à une plainte et n’a rien de larmoyant, bien au contraire ! On est frappé par l’humour, tout britannique dont il fait preuve. On précise bien « britannique » et pas « anglais », comme on l’entend souvent, car il précise très vite qu’il est Irlandais. Attention, à ne pas confondre ! Son humour, donc, se caractérise par ce côté absurde et décalé, souvent inattendu, qu’on retrouve dans ses anecdotes et à la fin de ses poèmes en prose, qui ressemblent plus à de petites histoires qu’à de véritables poèmes. Permettons-nous d’ailleurs ici une brève parenthèse pour souligner sa vision de la poésie, particulièrement marquante, dans laquelle il insiste sur le fait qu’elle n’a rien de raisonnable et doit avant tout se ressentir. On résume ici son idée, bien mieux exprimée par celui qui manie les mots bien mieux que nous…

Mais revenons à nos moutons ! Sebastian Melmoth, ou Oscar Wilde, s’amuse avec le public, se jouant de ce dernier. On évoquera l’une de ses premières interventions, alors qu’il boit de grandes gorgées d’eau, évoquant le fait que cela aurait dû être de l’absinthe, mais que lui-même s’est fait avoir, et que c’est réellement de l’eau… C’est avec cet humour et cette autodérision que le poète enchaîne les aphorismes, avec une précision détonante et un esprit provocateur. Encore plus après ce qu’il a vécu durant les années précédentes, aurait-on envie de dire ! Car c’est un homme qui n’a plus rien à perdre qui se présente face à nous : banni et rejeté de son pays, il a pourtant encore beaucoup de choses à dire, bien que censuré en Grande-Bretagne. Même son nom n’est plus évoqué, et ses livres sont attribués à « l’auteur de L’Éventail de Lady Wintermere ». Le propos résonne alors aujourd’hui, où la censure prend parfois d’étranges tournures, à l’image de la cancel culture, et où il est parfois difficile de trouver le juste équilibre entre humour et provocation. On peut alors vite tomber dans l’incorrect et le payer au prix fort. Cela pose bien sûr la question de ce qui est acceptable ou non, avec des conséquences qui peuvent être dramatiques, à différentes échelles selon où l’on se trouve sur le globe…

Un acteur de talent au service du texte

Si le texte de John Gay est aussi percutant, c’est aussi parce qu’il est porté par le brillant acteur qu’est Geoffrey Dyson. Dès son arrivée, on l’entend maugréer en anglais contre le tenancier du lieu, avant de s’adresser à nous avec cet accent britannique qui nous fait entrer en totale immersion avec son personnage. Face à nous, c’est un véritable dandy qui se présente, avec ce costume coloré et grandiloquent, contrastant avec ce lieu qui nous rappelle plus un vieux grenier qu’une salle de spectacle. Il correspond ainsi parfaitement à l’image qu’on se fait d’Oscar Wilde, avec ce côté maniéré, ces grands gestes et ce charisme qui le caractérisent. Le temps d’une soirée, on replonge donc dans une soirée de la fin du XIXe siècle, comme si on n’y était.

On soulignera aussi l’évolution du jeu au fil de la soirée, les verres d’absinthe et la fatigue due à tout ce qu’il a vécu, la douleur commençant à s’emparer de lui. Il n’en perd pourtant pas son côté maniaque, qu’il nous dit avoir développé en prison. C’est donc à un homme affaibli par des souffrances inimaginables auquel nous avons affaire, bien qu’il fasse tout pour le masquer et qu’il parvienne à se montrer critique – avec beaucoup de justesse – envers les puissances de son époque, et de subtiles résonnances avec notre XXIe siècle…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Une soirée de Délices et de Divertissements – Oscar Wilde, de John Gay, du 20 février au 8 mars 2024 aux Pulloff Théâtres.

Mise en scène : Raphaël Vachoux

Avec Geoffrey Dyson

https://www.pulloff.ch/une-soiree-de-delices-et-de-divertissements/

Photos : © Marija Mitrusic

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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