Les réverbères : arts vivants

Appréhender la mort avec poésie

À travers les cimetières romands, le jeune collectif Delta Charlie Delta explore notre rapport à la mort, au deuil et à la douleur, dans Jardin d’Hiver, un spectacle immersif. Un projet à la fois original et poétique, qui réveille en chacun·e de nous des questionnements parfois enfouis.

Le collectif Delta Charlie Delta (ou DCD, un joli jeu de mots qui résume bien l’esprit de cette troupe) propose au public un spectacle déambulatoire, dans plusieurs cimetières. La première, à Nyon, sera suivie par d’autres représentations à Fribourg, Genève et Neuchâtel. La question centrale ? Comment faire son deuil, accepter la mort et parvenir, à terme, à en rire ? À travers les textes, la musique et le mouvement des corps, Jardin d’Hiver tente d’apporter une réponse à ce vaste questionnement…

À l’entrée du cimetière, nous sommes accueillis par « Crevette » (Marie Lou Félix), surprise de voir que tant de monde s’est rassemblé pour dire adieu à Mathilde. Sans que les mots « mort, enterrement, cérémonie » ou toute autre terme évoquant ce pourquoi on est là ne soit prononcé, on comprend rapidement ce qu’il en est. Premier indice, donc, que ce spectacle, s’il parle bel et bien de la mort, en propose une approche inédite. Après nous avoir emmenés là où tout commence, près d’une centrale d’appel où tout le monde peut laisser un message aux êtres disparus, le public se retrouve en compagnie d’une sorte d’être double sans visage, qui rédige et publie des avis mortuaires. Mathilde (Marie Lou Félix) – ce personnage qu’on adorera détester avec sa voix rauque de vieille fumeuse, son franc-parler et ses attitudes de personne âgée qui se donne des airs de jeune, un peu hors du temps – fait alors son apparition, et sera notre guide dans ces déambulations qui nous conduiront à la rencontre de Roméo (Nour Biriotti) qui cherche Crevette, d’une jeune enfant (Camille Denkinger) qui évoque les souvenirs avec son papy, et de tant d’autres êtres disparus… Ensemble, nous parcourons le chemin qui doit la conduire à son départ, comme les proches qui doivent faire leur deuil. « Appréhender » la mort est sans doute le terme qui convient le mieux à ce parcours, dans son double sens de se saisir par l’esprit et d’envisager l’événement avec une certaine crainte.

De la poésie avant tout

Dans cette forme de parcours d’une certaine manière initiatique, tout est amené avec beaucoup de poésie. Il y a d’abord l’immersion dans ce lieu particulier qu’est le cimetière, un endroit que l’on n’attendrait pas pour accueillir un spectacle, mais qui sied parfaitement au propos. Le coucher de soleil qui nous accompagne n’est pas sans évoquer une belle symbolique non plus… Il y a bien sûr le texte, prononcé par les personnages, qui éveille inévitablement quelque chose en chacun·e de nous. Nous avons toutes et tous perdu un être cher à un moment donné, et les mots qui résonnent donner une toute autre dimension à cette perte, comme un recul nécessaire qu’on serait parvenu à prendre un peu malgré nous. Il y a ensuite la musique, jouée en live par Micaël Vuataz et ses divers instruments. Qu’elle ait été créée pour le spectacle ou composée à partir de reprises de morceaux connus (Comment te dire adieu en est sans doute le plus marquant), elle est jouée toute en nuances, comme pour figurer le monde intérieur de Mathilde et des autres morts que l’on rencontre ou auxquels on pense. Il y a enfin le mouvement des corps, ceux de Camille Denkinger et Nour Biriotti, que ce soit sur le mât qui trône au milieu de la centrale d’appel, ou au sol. De leurs chorégraphies se dégage une sorte d’apesanteur, pleine de souplesse, comme si les êtres qui nous quittent s’envolaient, légers, débarrassés du poids de la vie et de l’appréhension de la mort.

Car le but de ce parcours déambulatoire est sans doute là : accepter le départ, que ce soit pour les morts eux-mêmes, ou pour celles et ceux qui restent. Le spectacle évoque ainsi le temps qui passe et qui est nécessaire à accepter, un processus qui ne se fait pas en un claquement de doigts. Cette acception s’accompagne ainsi d’une forme de transformation, de l’âme, de l’esprit, de notre état intérieur, sans forcément que nous ayons conscience de cette évolution pendant qu’elle se fait.

Et c’est bien ce qu’on ressent durant ce spectacle : il y a d’abord une forme d’appréhension, d’incertitude sur ce à quoi on va assister. Ce sentiment laisse rapidement place aux questionnements et à un ressenti plus profond, plus personnel, par lequel on se laisse porter. On en vient rapidement à rire, un rire plein de tendresse pour les personnages qui nous accompagnent et vont s’en aller, évoquant leurs souvenirs. Avant d’aboutir (verre de porto à la main) à un étrange sentiment de bien-être, qui met bien du temps à nous quitter après la représentation.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Jardin d’Hiver, du collectif DCD (Delta Charlie Delta), le 26 août 2021 au Cimetière de Nyon, les 28 et 29 août au Cimetière St-Léonard (Fribourg), les 31 août et 1er septembre au Cimetière des Rois (Genève) et les 8 et 9 septembre au Cimetière Beauregard (Neuchâtel).

Direction artistique, conception et écriture du projet : Marie Lou Félix, Nour Biriotti et Camille Denkinger

Aide à la mise en scène et à l’écriture du spectacle : Wave Bonardi

Avec Nour Biriotti, Camille Denkinger, Marie Lou Félix et Micaël Vuataz

https://delta-charlie-delta.jimdofree.com/jardin-d-hiver/

Photos : © Vincent Heiniger

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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