Appréhender l’altérité pour se comprendre soi-même

« La terre est bleue comme une orange » écrivait Paul Eluard. La dernière création pluridisciplinaire de Sarah Waelchli reprend cette maxime, pour montrer que l’amour se raconte avec toutes les couleurs. Bleu comme une orange, à voir au Galpon jusqu’au 7 mai.

Dans la pénombre de la salle s’avance un groupe d’êtres. On ne le voit pas tout de suite, mais iels ont toutes les yeux fermés. Alors, pour se repérer, iels utilisent le son, se déplacent lentement, appréhendant l’espace avec de grands gestes des bras, pour être sûr·e·s de ne rien heurter. Est-ce un symbole de la peur d’avancer, de découvrir le monde qu’on ne connaît pas, tout en rappelant le besoin de repères ? Ou cherche-t-on à nous dire que l’amour est aveugle ? Car le thème du spectacle, c’est bien l’amour. Par la suite, les soli s’enchaînent, parfois avec un héros, parfois une héroïne, qu’importe. Ce qu’on nous figure ici, c’est une rencontre avec l’altérité, dans un contact direct ou non. Un spectacle pluridisciplinaire particulièrement symbolique.

Figurer l’altérité…

Bleu comme une orange est donc un spectacle sur l’amour, mais pas uniquement. C’est aussi un spectacle sur la connaissance de soi, à laquelle la rencontre avec ce sentiment étrange et complexe peut contribuer. Sur la scène, très peu de paroles, si ce n’est un monologue dans la dernière partie de la pièce. Ce sont donc pas les corps, et tous les symboles qu’ils renvoient que nous sera raconté ce voyage initiatique, si on peut l’appeler ainsi.

Le protagoniste rencontre, au fil du spectacle, l’altérité sous toutes ses formes. Celle-ci peut s’apparenter à des objets ou espaces inconnus – comme ceux cachés derrière les tulles présents sur la scène – ou encore à des êtres mystérieux, plus ou moins humains… Bleu comme une orange illustre différentes phases de la relation amoureuse. On pourra citer, dans le désordre, le fait de se jeter à l’eau, pris au sens presque littéral ici, l’impression de ne faire qu’un avec l’autre, le jeu de séduction consistant en une alternance d’attraction et de répulsion, ou encore toute cette complicité que le jeu amoureux induit, et le soutien important qu’il peut apporter. De tout ceci, rien ne nous est donc raconté avec des mots. Loin d’une confrontation, Bleu comme une orange sonne plutôt comme un exercice d’apprentissage. Les expressions faciales des comédien·ne·s danseur·se·s en disent ainsi très long : l’incertitude, le doute règne, avant que des sourires ne s’affichent, témoignant de l’évolution précise de la confiance qui s’immisce en elleux. De la méfiance envers ces étranges êtres naît finalement un lien indéfectible.

… pour mieux se comprendre

Les gestes sont ainsi de plus en plus assurés, les mouvements prennent une amplitude grandissante au fil du spectacle. De la solitude, on passe aussi à un ensemble, pas forcément toujours dans le même espace scénique. On nous montre cette impression de faire corps, tout en ayant aussi sa place pour soi. Car c’est ça aussi l’amour : vivre, échanger avec l’autre, mais également pouvoir évoluer de son côté. Bleu comme une orange nous rappelle bien qu’on a parfois besoin de l’autre pour mieux se comprendre soi-même. C’est en étant confronté à des sentiments nouveaux, que l’on doit appréhender et avec lesquels il faut vivre, que nous évoluons aussi en tant qu’individu.

Et alors qu’on croyait être dérouté·e, avec ce sentiment de ne rien comprendre à ce qui nous est raconté, on ressort finalement de la salle du Galpon avec beaucoup de réflexions, en ayant appréhendé beaucoup plus qu’on ne le croyait. Les spectateur·ice·s se retrouvent ainsi dans la même posture que les personnages : faire face à quelque chose qui nous dépasse, qu’on ne comprend d’abord pas, qui peut même faire peur à certains égards, avant de se laisser embarquer dans l’esthétique, la beauté, passer de la raison pure au fait de se laisser porter pour entrer dans un autre univers. Cela, j’ai mis un peu de temps à le comprendre à la sortie. Une manière de nous dire que l’amour est un processus qui ne se fait du jour au lendemain, mais que quand on le comprend, il n’y a rien de plus beau.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Bleu comme une orange, de Sarah Waelchli – Agneta & Cie, du 27 avril au 7 mai 2023 au Galpon.

Conception : Sarah Waelchli, en collaboration avec les artistes interprètes

Avec Arnaud Mathey, Margaux Monetti, Luc Müller, Pauline Raineri et Sarah Waelchli

https://galpon.ch/spectacle/bleu-comme-une-orange

Photos : © Elisa Murcia Artengo

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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