Les réverbères : arts vivants

Au bout du petit matin…

Depuis 2009, Un homme debout, inspiré du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, tourne dans différentes salles. À l’approche de la 200ème, c’est dans le petit écrin du Théâtricul que les mots de l’écrivain résonnent, à grand renfort de poésie et de rhum.

« Au bout du petit matin ». C’est par ces mots que débute le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, mots qui seront répétés souvent par David Valère, comme une rengaine, une manière de nous dire que les jours se suivent et se ressemblent, ou pas. Tout commence donc lorsqu’Aimé Césaire a 18 ans, en 1930. Il raconte la Martinique, son île natale, la vraie, avec tout l’envers du décor. Y apparaissent les conséquences de la colonisation, un peuple réduit en esclavage, humilié jusque dans sa chair. Les mots sont crus, rien n’est épargné. C’est l’année suivante qu’il part à Paris faire ses études. Il y rencontrera notamment Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas, aux côtés de qui naîtra le mouvement littéraire et poétique de la Négritude. En 1939, face à la montée du nazisme, il rentre au pays et débute l’écriture du texte qui a inspiré Un homme debout. Ce spectacle raconte tout ce que l’on vient de dire. Mais il raconte aussi et surtout la lutte face aux oppressions, comment cela a inspiré d’autres figures marquantes, comme Martin Luther King, Toussaint Louverture ou encore Nelson Mandela. Un homme debout, c’est à la fois une histoire de luttes, un pamphlet pour tou·te·s les opprimé·e·s et un hommage à la Martinique.

De la légèreté à l’horreur

À l’ivresse d’une soirée trop arrosée ou d’un premier baiser, succèdent la violence des coups de fouet et celle des rues… À travers les mots d’Aimé Césaire, David Valère ne nous épargne rien, raconte tout, des plus beaux moments de la vie de l’écrivain – comme la rencontre de l’écrivain avec sa future épouse Suzanne Roussi, digne d’un conte de fées – aux pires. Pour vous donner une idée, il fait par exemple rimer « hostie » avec « sodomie ». Voilà qui en dit long.

La construction de ce spectacle, dans la mise en scène imaginée par Stéphane Michaud, a l’intelligence d’entrecouper le texte d’Aimé Césaire de quelques interventions de David Valère. Interagissant avec le public avec le soupçon de provocation qui le caractérise – et colle parfaitement au spectacle – il aide non seulement à suivre le fil d’une pensée dans laquelle les formules sont parfois complexes, mais aussi à reprendre son souffle et du recul sur ce qui nous est raconté. Son humour et sa verve font réagir, renversant d’une certaine façon le propos du spectacle, de manière à le faire résonner d’autant plus.

Pour faire encore mieux comprendre au public de quoi il est question, David Valère n’hésite pas non plus à jouer avec les clichés – qu’ils soient fondés ou totalement absurdes d’ailleurs – et montrer le regard humiliant qu’avaient – et qu’ont encore trop de personnes – les blancs à l’époque. On pense à l’imitation du chimpanzé et du gorille, à la forte présence de rhum et autres boissons à base de ce nectar ou encore aux scènes où les Martiniquais sont montrés de manière presque lubrique, avec cette hypersexualisation qu’on leur prête parfois. En allant aussi loin dans les clichés et en les ponctuant de remarques acerbes ou décalées, Un homme debout tourne en ridicule, non pas celles et ceux qui en sont victimes, mais bien celles et ceux qui les colportent. Ou quand des scènes d’apparence grossière s’avèrent en fait particulièrement fines…

Pour tou·te·s les opprimé·e·s

Bien sûr, Aimé Césaire, comme le mouvement de la Négritude et le spectacle, s’appuient avant tout sur l’histoire du peuple martiniquais, et de la communauté noire dans son ensemble, qu’elle vive sur le continent africain, aux États-Unis ou n’importe où ailleurs. On le comprend bien vite, lorsque le fameux « I have a dream » de Martin Luther King résonne, ou encore lorsqu’on aperçoit Toussaint Louverture dans sa prison du Château de Joux. Mais la force du propos d’Aimé Césaire et de ce spectacle est d’aller bien plus loin. Ainsi, la communauté dont il est question n’est que très peu nommée dans Un homme debout. Ce sont plutôt des mécaniques de domination, d’exclusion et d’humiliation qui nous sont dévoilées. De ce fait – et cela démontre une parfaite compréhension de ce que voulait Aimé Césaire – cette histoire s’adresse à tou·te·s les opprimé·e·s. On pense, bien sûr, aux Juifs dès 1939 (et à toutes les époques d’ailleurs), à toutes les minorités – que ce soit les Ouighours en Chine, les Rohingyas à Myanmar ou encore les Kurdes en Turquie – mais aussi aux femmes. L’égalité est encore loin d’être acquise…

David Valère le rappelle d’ailleurs très bien après les applaudissements nourris, en rendant d’abord hommage, avec humour, à son partenaire de jeu, le tonneau en métal – qui est en réalité une tonnelle nous dit-il, oui oui, un tonneau femelle ! Plus sérieusement, il évoque le fait qu’en Martinique notamment, ce sont les femmes qui tiennent la société. Sans le dire, sous-entend-t-il qu’il y a moins de problèmes ainsi ? Si la réponse n’est pas donnée, on retient surtout que Un homme debout est un magnifique pamphlet pour les opprimé·e·s et l’égalité.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Un homme debout, d’après Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, du 14 au 17 septembre 2023, puis du 21 au 24 mars 2024 au Théâtricul.

Mise en scène : Stéphane Michaud

Avec David Valère

https://theatricul.net/13721-2/

Photo : © Théâtricul

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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