Pastiche : Le tour
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propre un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Aujourd’hui, c’est Céline Moioli qui prend la plume. Elle nous invite dans un pastiche… à vous de découvrir l’auteur ou l’autrice d’origine ! Bonne lecture !
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Le tour
Je suis sur le scooter de mon père, il est vert irisé, étincelant. Mon père l’utilise pour aller travailler, là-bas, en ville. Il est déjà vieux à l’époque, le scooter. Un jour, il s’en est débarrassé, le moteur ne partait plus. Il est temps d’en changer. Ce sont des moments dont je me souviens. Après l’école, la petite patiente jusqu’à l’arrivée du soir, la fin de journée de travail du père, le réjouissement. Je ne sais plus très bien combien de temps cela a duré, l’attente du tour de scooter, je ne sais plus non plus quand cela a cessé. Il me met sur la tête son casque blanc, éraflé de partout. Il préfère qu’il soit sur ma tête, le père reste tête nue. C’est juste pour cinq minutes. Parfois, il porte son casque blanc et il me donne celui des enfants, le bleu. Le plus souvent, je me souviens, je porte le casque blanc, tout éraflé. J’ai toujours les cheveux détachés, ils s’emmêlent dans le vent, s’étalent sur mon visage jusque dans ma bouche. C’est mon choix. Je me préfère les cheveux longs, détachés. Ma mère les a coupés une fois, elle trouvait ça joli. Je ne les ai plus jamais portés courts. Je parle du temps de mon enfance qui, en quelques tours de scooter dans le quartier, s’est évaporé. Sur les dos d’âne, le casque trop grand tremble sur mes oreilles, je ris. Ces soirs-là, je m’en souviens encore. Je me souviens du vent sur ma figure, des rires avec le père. Je me penche quand il me laisse m’assoir devant lui, sur le siège matelassé, quand je conduis l’espace de quelques secondes. Je me penche dans le virage éternel du rond-point. C’est mon père qui maintient l’équilibre. Je le sais maintenant, avant j’y croyais, j’en riais. C’est l’été, la chaleur s’engouffre dans mon casque, rougit mes joues. Je m’en rappelle comme ça, de ces soirées d’été, des tours de scooter.
Céline Moioli
Photo : © Alexas_Fotos