Les réverbères : arts vivants

Au creux du souvenir

Sous un éventail bleu, tel le Prince de Montmartre – Chez Michou, un spectacle en reprise au Théâtre Les Amis musiquEThéâtre du 10 au 31 décembre 2021.

Pour raconter une histoire, il en faut parfois débuter par une autre. Et quand on rend hommage à Michou et à son cabaret, l’histoire première se doit d’être courte. Que dire quand beaucoup a été dit, que raconter quand presque tout a été raconté. Trois mots, trois phrases, juste ce qu’il faut pour placer un décor narratif dans un décor évocateur d’un style, et peut-être d’une époque. Car, quand un homme comme Michou se retire, c’est bien la fin de quelque chose. C’est avec cette délicatesse que cette version de Chez Michou débute au Théâtre Les Amis à Carouge.

Bien loin de l’éclat vernissé et policé des spectacles qui roulent sur le marbre de la perfection tels les vendredis soir de Maritie et Gilbert Carpentier, il y a sur la scène de ce Chez Michou proposé aux Amis par Françoise Courvoisier, une parfaite fidélité à l’imperfection des choses. À l’image du « brûlé » gourmand sur les gâteaux aux pommes, de la rose qui perd ses pétales avec grâce et l’odeur un peu forte d’un parfum qui nous laisse à penser que quelqu’un que l’on aime a passé par ici. Car l’imparfait existe aussi parmi les meilleurs. C’est ce qui fait qu’il y a des histoires plus belles que la vie… ou carrément plus dures ; pour chacun, chacune tout est une question de degré.

Au théâtre Les Amis, on retrouve l’idée du cabaret. Ces spectacles populaires du vendredi, d’un temps où la « téloche » n’avait pas pris tout pouvoir. Ici, on n’est pas venu voir des vedettes, juste des autres comme nous qui chantent et jouent des rêves. Car eux, ces artistes-là, ils sont nous avec plus de culots, plus de courage, plus d’audace. Sous les feux, ils possèdent l’aisance et les gestes, le public dans l’ombre partage les notes et les paroles. C’est tout le charme de ce spectacle.

Ainsi que le présente le film de Christophe Baratier « Faubourg 36 », où trois ouvriers de cabaret décident d’occuper un music-hall pour y monter un spectacle, aux Amis des relégués de la vie montent un projet de scène avec les moyens du bord. Une paumée issue de la déglingue (Bérangère Mastrangelo) se trouve ainsi projetée sur scène à l’improvisade comme chanteuse et meneuse de revue – avec d’autres pas plus reluisants – par un directeur artistique (Jef Saintmartin) qui ne vaut pas mieux. Ce royaume de la bricole et de la « démerde » devient un cabaret : « Chez Michou ». Du vintage à l’image de l’ancien « Palais Mascotte » des Pâquis. Un plaisir.

Passé la première histoire, qui n’a pas la verve de la seconde, le public est plongé dans l’univers de Michou. Du burlesque « chimiquement pur », de la drôlerie sans moquerie et du cliquant sans vulgarité. Les personnages du cabaret endossent les frêles silhouettes des icônes d’antan : Sylvie Vartan, Mireille Mathieu ou France Gall avec des formes qui révèlent le naufrage des vicissitudes de l’âge et leurs corollaires : rides en nombre, ventre en avant, jambes fatiguées et calvitie rutilante. À l’exception de Juliette Greco (Bastien Blanchard) une silhouette sylphide dans un fourreau noir : un jeu tout en sobriété, subtilité et nostalgie. Des comédiens et comédiennes qui couvrent deux générations s’en donnent à coeur joie et nous en offrent.

Ici, Lee Maddeford abandonne son costume sur mesure d’excellence pour porter en confection celui d’un pianiste de quartier tandis que les autres artistes en font de même sous leurs robes, perruques et maquillages. Alors, dans la salle, le public marmonne des notes pas toujours justes et des paroles parfois inexactes. Oui, la perfection n’est pas plus présente dans la salle – chacun étant capable de débuter « La Bohème » d’Aznavour, quant à la terminer… Mais le plaisir est authentique, le rire est heureux et le partage entre la salle et la scène complet.

Des touches de bleu montmartroises ; ballon et éventails ; la couleur fétiche du légendaire cabaret du 18e arrondissement de Paris ponctue çà et là ce spectacle au creux du souvenir, en hommage à la figure attachante que fut Michou. Cette « comédie musicale maison » comme l’évoque Françoise Courvoisier est un sincère moment de fête.

Il est grand temps de vous rendre à cette magnifique reprise.

Jacques Sallin

Infos pratiques : Chez Michou, aux Amis MusiquEThéâtre, du 10 au 31 décembre 2021.

Mise en scène : Françoise Courvoisier

Avec Bastien Blanchard, Françoise Courvoisier, Vanessa Dacuña Rodriguez, Léa Déchamboux, Bérangère Mastrangelo, Antony Mettler, Jef Sainmartin, Christine Vouilloz et Lee Maddeford (Piano)

https://lesamismusiquetheatre.ch/michou_reprise/

Photos : © Daniel Calderon

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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