Les réverbères : arts vivants

Et dans la forêt, la magie apparaît

Pour terminer l’année en beauté, la Comédie de Genève propose un spectacle de magie nouvelle. Avec Le bruit des loups, c’est à un moment mystérieux et féérique que nous assistons. Déroutant constamment son public, ce spectacle révèle l’enchantement du monde, jusqu’au 22 décembre.

« Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas », disait la comptine. Avec des variations inédites, c’est l’un des thèmes musicaux du Bruit des loups. Sans parole, ce spectacle est constamment accompagné d’airs de piano qui nous plongent dans une atmosphère hors du temps. Tout commence dans une salle fermée et son carrelage en trompe-l’œil, qui crée une perspective qui n’est pas tout à fait la bonne. Un homme entre, taille le petit arbre qui se trouve sur la scène, balaie les feuilles et… et la magie commence : des plus en plus de feuilles apparaissent après chaque coup de balai, des morceaux de carrelage deviennent papier, des souris font leur entrée. Puis c’est le noir. Lorsque les lumières se rallument, un grand arbre trône dans la pièce, alors que nous sommes dans un flashback. L’arrivée d’un loup près de l’homme redevenu enfant déclenchera la suite. Un géant arrive ; les lumières s’éteignent à nouveau. Et quand elles se rallument, nous voilà projetés dans l’immensité d’une forêt. Le paysage est féérique, on suit la rencontre entre l’enfant et la nature. Pas de lapin qui sort du chapeau, mais des écureuils, un loup, et même un cerf sur la scène. C’est cela, la magie nouvelle dont parlait la description du spectacle.

Du mystère avant tout

Le bruit des loups est un spectacle mystérieux. D’abord par l’incompréhension qu’il suscite au sein du public. La prestidigitation est d’abord « simple », avec ce carrelage qui devient papier, ses feuilles qui apparaissent : on croit avoir déjà vu cela et, même si c’est très bien exécuté, on en rigole un peu. Bien vite, on passe pourtant dans une autre dimension de l’art de la magie, et cette fois le terme n’est pas usurpé. Comment une forêt, ses arbres immenses et son sol recouvert de mousse ont-ils pu remplacer une pièce fermée en à peine trente secondes de noir ? La puissance de la technique sans doute. Mais comment expliquer l’apparition d’un loup ? Est-il réel ? S’agirait-il d’une marionnette ? D’un hologramme ? Et c’est là que la magie déroute. Car on y croit, l’illusion est parfaite. On a envie d’aller toucher ce loup, sentir ses poils pour s’assurer de sa présence, tant elle paraît réelle. Et que dire du cerf qui fait son entrée un peu plus tard, si majestueux ? Jamais je n’avais assisté à cela sur une scène de théâtre. Comme un enfant qui découvre pour la première fois le monde, j’ai été complètement happé par cette forêt, sans en comprendre les mécanismes, simplement en appréciant ce que je voyais, les yeux brillants.

Avais-je envie de savoir ? Je ne crois pas. Et c’est là que réside peut-être la plus grande force magique de ce spectacle : il déroute, perturbe, questionne, mais ne donne pas les réponses, et surtout ne donne pas envie de les obtenir. Au risque de briser l’enchantement. Et franchement, dans une période si sombre pour le monde, cela fait du bien de voir tant de féérie.

Retrouver l’enchantement du monde

Mais le mystère n’est pas que visuel. Sans mots, difficile de raconter une histoire, surtout quand elle mélange plusieurs temporalités. Alors, on ne comprend sans doute pas tout ce que nous raconte Le bruit des loups. Mais qu’importe ? On retrouve la magie qu’on avait perdue, comme si le monde nous apparaissait à nouveau dans nos yeux d’enfants. Et puis, on comprend des bribes, des messages. S’il importe peu de savoir qui est ce géant qui semble vivre en parfaite harmonie avec la nature, c’est plutôt le sentiment général d’assister à quelque chose de grand qui l’emporte. En transmettant, semble-t-il, sa relation de respect mutuel avec la Nature, c’est un message qu’il nous envoie, à nous, public. Nous qui avons tant oublié l’importance de la nature, des arbres, des animaux. Le bruit des loups, dans toute sa poésie, nous invite ainsi à nous y reconnecter, et à retrouver l’enchantement que peut nous apporter le monde qui nous entoure, à condition d’ouvrir un peu plus les yeux.

Le bruit des loups, c’est un spectacle à voir les yeux grands ouverts, pour ne pas en manquer une miette, mais surtout pour imaginer, rêver et réfléchir. Car si l’on n’a jamais rien vu de tel dans un théâtre, il nous suffit de marcher un peu et de prendre le temps pour le retrouver dans la vie, la vraie.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le bruit des loups, d’Étienne Saglio, du 15 au 22 décembre 2021 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : Étienne Saglio

Avec Étienne Saglio ou Vasil Tasevski, Bastien Lambet ou Murielle Martinelli, Guillaume Delaunay

https://www.comedie.ch/fr/production/coproductions/le-bruit-des-loups

Photos : © Prisma Laval

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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