Les réverbères : arts vivants

Au Loup, on questionne le trac en musique

Les 11 et 12 mai prochains, le Théâtre du Loup accueillera Elvett et Simon Aeschimann pour Track Attack, un conte musical à voir dès 7 ans, pour interroger le trac et la peur à travers des chansons et de drôles de personnages. Rencontre avec Céline Frey du groupe Elvett et Simon Aeschimann.

La Pépinière : Bonjour Céline Frey et Simon Aeschimann et merci de nous accorder un peu de votre temps à l’approche de cette première genevoise, après la création au Petit Théâtre de Lausanne. C’est le deuxième conte musical que vous créez, après Sinus et Disto, que je n’ai malheureusement pas vu. Comment vous est venue l’idée de proposer un spectacle sous cette forme ?

C’est le compositeur et arrangeur Alain Frey qui souhaitait créer un spectacle pour les enfants dans lequel le sound design et la musique occupent une place centrale. L’idée était de faire découvrir aux plus jeunes la musique électronique au travers d’un théâtre musical original. Nous l’avons rejoint pour ce projet que nous avons porté les trois. Partant d’un conte aussi classique que déjanté, le pari était d’élaborer un spectacle qui sensibilise à l’impact du son sur notre perception de la réalité. Le spectacle a beaucoup tourné, et fort de son succès, nous avons eu envie de remettre le couvert ! Notre désir pour Track Attack était de repartir sur un spectacle musical tout public, mais nous voulions changer la forme. La théâtralité y est plus importante que dans Sinus et Disto. Nous avons choisi de travailler avec le même noyau d’équipe : Madeleine Piguet Raykov à la mise en scène, Nicolas Frey à l’écriture, Benjamin Deferne à la réalisation du décor et des lumières. Comme ce nouveau projet est plus ambitieux, nous avons eu le plaisir d’être rejoints par des petits nouveaux qui ont apporté beaucoup à ce nouveau spectacle : Stéphane Rentznik, comédien et batteur merveilleux ; Anne-Laure Futin qui, avec ses costumes et ses accessoires apporte beaucoup aux divers personnages ; Félix Bergeron qui a géré une technique du son incroyable !

La Pépinière : Vous repartez donc sur un conte musical. Comment définiriez-vous cette forme ?

Plutôt qu’un conte musical, nous préférons l’appellation de spectacle musical qui est plus générale. Cela dit, il s’agit bien d’un conte puisque Phlip, le héros de Track Attack a une quête :  il doit arriver à dompter son trac. Pour ce faire il va rencontrer plusieurs personnages et situations souvent loufoques qui l’amèneront à grandir. En cela, notre spectacle utilise la forme du conte. Mais attention, il s’agit d’un conte déjanté ! En voyageant à l’intérieur de son propre corps et de sa conscience, Phlip et son alter égo Phlop rencontreront Monsieur Blanc qui oublie tout, Don Palpito le coeur qui s’emballe, Whisper la guide spirituelle, LEGO et son amour propre démesuré et bien d’autres encore, comme autant d’étapes à surmonter afin de dépasser la peur du regard des autres. Quand au terme « musical », il est évidement omniprésent dans Track Attack.

La Pépinière : Le spectacle sera donc marqué par la musique. Comment l’avez-vous imaginée ?

La musique est originale. Il y a le sound design qui forme une partie du décor et qui est entièrement musical d’une part. C’est-à-dire que le sound design n’est pas pensé comme une suite d’effets sonores, mais comme une musique. Et puis il y a les chansons :  chaque personnage que rencontre Phlip possède la sienne. Même si la musique des chansons a une qualité commune, elle va être assez typée et liée à chaque personnage puisqu’ils sont très différents les uns des autres.

La Pépinière : La thématique de la peur, du trac, c’est quelque chose qu’habituellement, en tant que spectateur·ice, on ne voit pas. Pourquoi vouloir montrer cela, avec aussi cette dimension plus universelle qui est évoquée dans le dossier de presse ?

Tout le monde connaît la peur de la « première fois » ; la peur de la production pour le mariage de Tata Jacqueline ou pour le Noël en famille ; de la poésie ou l’exposé à présenter devant toute la classe ; de l’entretien d’embauche… Ces instants où l’on souhaiterait être vaporisée dans l’univers plutôt que de décevoir son audience, aussi bien intentionnée soit-elle. Bien que nous les connaissions, ces réactions nous prennent souvent au dépourvu, comme si de petits personnages prenaient possession de notre corps. Le trac est un sentiment assez spécial car il allie la peur à la réjouissance de faire quelque chose. On peut y mettre beaucoup de choses : de l’excitation, de la peur, du plaisir… Le trac se fait ressentir autant dans l’esprit que dans le corps. C’est une sensation très personnelle, mais elle a aussi des qualités qui se retrouvent chez chacun·e. En cela, il s’agit d’un thème universel. Comprendre et accepter son trac peut faire tellement de bien que nous espérons ouvrir ici une petite porte pour chaque spectateur·ice…

La Pépinière : Dans le titre aussi, on entend ce jeu de mots entre « trac » et « track », la piste. C’est à l’image du ton du spectacle ?

Tout à fait. Nous aimons l’absurde et le décalé et nous aimons jouer avec les mots. Les jeux de mots sont aussi des jeux de sons, finalement. Et puis l’auteur Nicolas Frey possède un doctorat en humour-toutes-catégories, il fallait en profiter !

La Pépinière : Dans Track Attack, on rencontre donc tous ces personnages du monde intérieur, qui représentent différentes facettes du trac. Comment va-t-on plonger dans ce monde ?

Dans Track Attack, le jeune Phlip, héros malgré lui de sa propre histoire, fait l’expérience des différents états émotionnels et physiques qui accompagnent la peur du regard de l’autre. Face au public, seul sur son podium, dans l’attente de quelque chose qui ne vient pas, Phlip est happé par les battements de son coeur ou de son système nerveux qui surchauffe. C’est en ouvrant des portes qu’il accède, au fil du spectacle à son intérieur pour comprendre ce qui lui arrive.  Il fait rapidement connaissance de Phlop, sa conscience (ou parfois son inconscience !), sa petite voix, son alter ego. Aidé par Phlop, notre héros va partir à la découverte des sensations qui habitent son corps et parviendra à les comprendre et les dompter. Perte de confiance, trous de mémoire, ventre en vrac et attaque de panique, autant de mondes à découvrir et à confronter pour se connaître un peu mieux et reprendre confiance en soi.

La Pépinière : Au niveau des sonorités, du style musical, cela ressemble à quoi ?

Ahh, il faut venir pour le savoir… On peut juste dire que les ambiances sonores de synthétiseurs analogiques, samplers, basse, voix et percussion composent une grande part du décor et permettent d’exprimer les émotions de Phlip. A plusieurs reprises, ces ambiances se transforment en véritables morceaux pop. Le son se veut électro-organique inscrit dans la musique de maintenant. Avec l’envie de faire découvrir aux enfants une musique qu’ils ont moins l’habitude d’écouter mais qui leur soit accessible et dans laquelle ils puissent se reconnaître. Cette partition est jouée par les trois comédien·ne·s/musicien·ne·s, femme et hommes orchestres qui créent en direct l’extraordinaire machine à « détracker » le jeune Phlip. A travers cette musique, nous traversons toutes les manifestations psycho-corporelles que le trac peut produire. La bande son de la peur est généralement inquiétante. Toutefois, le trac est une peur particulière où l’excitation rejoint l’appréhension et où l’envie surpasse souvent le découragement. En ce sens, la musique du spectacle est principalement encourageante et libératrice. L’énergie générale se veut lumineuse, légère et drôle afin de démystifier l’insurmontable. Pour les chansons, on travaille entre la soul et l’électro.

La Pépinière : Concernant le décor, on n’aura donc que deux portes ?

Presque. Il y a deux portes lumineuses sur roulettes qui créent des espaces modulaires en fonction des mondes que traversent les deux compèrent. Il y deux autres portes qui servent de supports aux instruments. Ce plateau épuré permet au son et à la lumière de créer des univers très différents spécifiques à chaque personnage, à chaque émotion. Ainsi, les spectateur·ice·s peuvent se faire leur propre représentation mentale de l’espace. La musique à elle seule peut modeler un environnement neutre pour le faire basculer dans une intention inquiétante ou joyeuse, spacieuse ou étriquée. C’est principalement Alain et Simon qui se sont occupés de l’univers sonore. Quand aux éclairages de Benjamin Deferne, ils créent l’illusion d’espaces infinis dans le corps de Phlip, de part leurs délimitations géométriques et la gamme de couleurs.

La Pépinière : Track Attack, c’est donc un spectacle dès 7 ans, mais qui s’adresse aussi aux plus âgés ?

Bien sûr. Comme nous l’avons dit précédemment, le trac est un thème universel. La musique que nous proposons ne s’adresse pas à un public spécialement enfantin, nous ne voulons pas composer de la musique pour les petits. Les plus jeunes ont un esprit plus ouvert que les adultes et peuvent apprécier n’importe quelle musique de qualité. Nous proposons donc un spectacle disons familial en espérant que chacun·e en sortira avec du fun, et pourra se questionner sur son propre rapport au trac…Déjanté et plein d’humour, multicolore et musical, Track Attack propose plusieurs niveaux de lecture pour qu’il puisse toucher différents âges…

La Pépinière : Céline et Simon, merci beaucoup, et je me réjouis de découvrir le spectacle !

Propos recueillis par Fabien Imhof

Infos pratiques : 

Track Attack, un conte musical tout public, dès 7 ans, par Elvett et Simon Aeschimann, les 11 et 12 mai 2024 au Théâtre du Loup.

Texte : Nicolas Frey

Conception et composition : Simon Aeschimann, Alain Frey et Céline Frey

Mise en scène : Madeleine Piguet Raykov

Avec Simon Aeschimann, Céline Frey et Stéphane Rentznik

https://theatreduloup.ch/spectacle/track-attack/

Photos : © Philippe Pache

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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