Les réverbères : arts vivants

Au théâtre de la vie

À la Comédie de Genève, on accueille un spectacle sur le « quatrième âge ». Dans Une mort dans la famille, Alexander Zeldin raconte la fin de vie dans une maison de retraite et l’impact sur l’entourage. Un spectacle criant de réalisme, à voir jusqu’au 6 avril.

Tout commence dans une maison. Marguerite, la grand-mère, a quitté la maison de retraite dans laquelle elle faisait un essai, car elle préfère rester auprès de sa fille Alice. Cette dernière, veuve depuis un an après s’être longuement occupée de son mari malade, doit aussi gérer ses deux enfants adolescents. Débordée, au bord du burnout, elle ne se plaint pourtant jamais. Marguerite finira par intégrer une maison de retraite. C’est son quotidien que l’on suivra désormais, les relations avec les autres résidents et les infirmières, les activités de chaque jour, l’âge qui avance et avec lui la mort qui se rapproche inévitablement, les visites des proches de plus en plus éloignées…

Réalisme époustouflant

Ici, pas d’aventure épique, de grands quiproquos, de héros antique ou de princesses qui nous font rêver. Dans Une mort dans la famille, on nous raconte la vie, la vraie ! Pour donner tout le réalisme souhaité à son spectacle, Alexander Zeldin a mis les petits plats dans les grands. D’abord, il a choisi de mélanger des acteur·trice·s professionnel·le·s et des amateur·trice·s. Cette décision a non seulement changé la manière de travailler, mais aussi celle de jouer. Est-ce vraiment du jeu, d’ailleurs ? En tous les cas, la mise en scène nous présente des mécaniques que l’on n’a pas l’habitude de voir au théâtre : par moments, les personnages s’interrompent, parlent en même temps que les autres, alors que d’autres passages sont parfaitement silencieux, comme quand lors du repas quotidien. Sur la scène, c’est comme dans la vie.

Le réalisme est encore amplifié par le décor : l’immense machinerie est montée sur un plateau tournant qui permet d’alterner entre les différents espaces – la maison d’Alice, la maison de retraite ou encore la chambre de Marguerite. Dans chacun de ces espaces, on joue aussi sur le hors-champ, grâce à des portes qui débouchent sur d’autres lieux en fond de scène : la cuisine d’Alice, le hall d’entrée de la maison de retraite ou le couloir menant à la chambre. On se croirait ainsi véritablement dans les endroits qui sont figurés. Enfin, pour que l’immersion soit totale, une partie du public se trouve sur scène, assis sur des chaises autour du plateau tournant. Le quatrième mur tombe, et certain·e·s vivent l’expérience au plus près de ce qu’elle est. Symboliquement, iels pourraient représenter l’entourage de cette famille, celui qui n’est plus là mais veille encore sur le monde. Iels seront d’ailleurs rejoint·e·s bientôt par les résidents qui succombent petit à petit à leur maladie ou à l’âge…

Pour dire la fin de la vie

La fin de vie peut parfois être un sujet tabou, dont on n’a pas envie de parler, encore moins sur la scène d’un théâtre, où on a l’habitude d’avoir envie de rêver. Dans Une mort dans la famille, Alexander Zeldin choisit de montrer la réalité quotidienne, le rapport intime et tendre que l’on peut avoir à ce moment charnière, dans une forme d’autofiction. Car le spectacle évoque des éléments de la vie du metteur en scène : il a perdu son père à 15 ans ; sa grand-mère a, comme Marguerite, vécu en Australie… Sans doute que ces éléments ont permis au metteur en scène de donner encore plus de profondeur au spectacle, par des détails auxquels on n’aurait pas forcément réfléchi dans une fiction totale.

Au final, Une mort dans la famille n’est pas un spectacle démoralisant. Difficile de retranscrire en mots ce que l’on ressent, tant les émotions se mélangent : il y a beaucoup d’humour, notamment dans les interventions toujours pleines de cynisme de Simone ; de la tendresse lorsque cet homme atteint d’Alzheimer – on le suppose – retrouve un instant sa mémoire pour chanter Et j’entends siffler le train, avant de confondre Marguerite avec sa femme décédée… On pourrait continuer la liste indéfiniment, mais le mieux est encore de vivre cette expérience et de ressentir, en direct les émotions.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Une mort dans la famille, d’Alexander Zeldin, du 31 mars au 6 avril 2023 à la Comédie de Genève.

Mise en scène : Alexander Zeldin

Avec Marie Christine Barrault, Thierry Bosc, Nicole Dogué, Annie Mercier, Karidja Touré, Catherine Vinatier, Elios Levy Et Nita Alonso, Flores Cardo, Dominique de Lapparent, Françoise Rémont, Marius Yelolo Et Aliocha Delmotte, Mona (en alternance)

https://www.comedie.ch/fr/programme/spectacles/une-mort-dans-la-famille

Photos : © Simon Gosselin

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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