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Mondes imaginaires : autour des sorcières (1)

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires propose donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires propose un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Celui d’aujourd’hui est signé Magali Bossi. Entre prose et poésie, comptines et mauvais sorts, elle vous emmène au frontière du rêve – dans l’antre d’une sorcière… ou d’un sorcier. De celleux qui vivent dans les marges des livres… Bonne lecture !

* * *

Dans les marges de vos livres

Je suis la sorcière qui vit en lisière des marais, celle qui demeure aux confins des forêts.

J’habite les marges de vos livres, les bordures vierges et blanches de vos recueils de contes – là où les mots s’effacent, où les phrases disparaissent pour laisser place aux rêves. Je n’ai pas de nom, je n’ai pas de sexe – le corps aussi changeant que la brume de l’automne.

Ma chair est façonnée par crissement des feuilles mortes, cousue par les toiles de milliers d’araignées. On me dit vieille femme, on me dit jeune homme… on me dit chat noir, hermine, corneille ou encore, luciole.

Feu follet des cimetières.

La vérité, en vérité, c’est que je n’existe pas.

Ou seulement dans vos têtes.

Au village, je ne porte aucun nom. Je n’en ai pas besoin, car tout le monde me connaît. Je suis le monstre qui veille à l’orée des cauchemars… au commencement des rêves. Chacun sait où je vis – après tout, c’est facile : pour me trouver, il n’y a qu’à suivre le sentier de briques jaunes, le chemin entrouvert parmi les branches mortes, les ronds de champignons qui poussent au creux des champs…

Ceux qui viennent me voir sont toujours des enfants ; les parents, après tout, sont tous trop occupés. Il y a les troupeaux à traire, les récoltes à rentrer… car voici qu’approche la morne saison froide, dans sa chevelure de gel, son balai de grésil – ses hurlements de loups et l’infernal cortège de ses vents malveillants.

Mais quand ils poussent la porte de mon isba, ou celle de ma maison de pain d’épices, que cherchent donc les enfants ?

Des réponses, qui n’attendent pas de questions.

Tu n’as qu’à aller chez la sorcière. Elle, elle saura quoi faire, leur disent les parents.

Ou bien : Demande donc au sorcier ; il aura bien un sort que l’on pourra lancer.

Ma foi, c’est peut-être vrai – mais peut-être pas.

Sur les étagères de ma masure bancale, dans les recoins profonds de ma grotte moussue, je cache des bienfaits ou des malédictions. Des rouets aux quenouilles desquels on se pique le doigt. Des pommes rouges qui apportent le sommeil… des pommes d’or qui appellent la discorde. J’ai des baisers de crapauds, des ritournelles qui changent les humains en cochons – de la poussière de fées. Dans un coin, j’ai aussi un sabot du Cornu, un sac de bougies noires, de l’escarbille d’ossements. Et, rangées çà et là, quelques citrouilles creusées.

Quand je sors au jardin, je ramasse des simples : belladone, cigüe, sauge blanche, herbes de Maturin… Je cueille les fruits du houx, je me pique aux orties – et par les aubes calmes, je ramène contre mon cœur de la digitale pourpre.

Je broie, je coupe, je cuis. Cisèle, écrase, pétris.

Sorcière, sorcier, dis-moi qu’est-ce que tu cuis ?

Du brouet de merveilles, du bouillon de légendes. Quand tout est prêt, enfin, j’enferme dans mes bocaux des contes et des histoires, mille et mille autres mots qui soulageront les âmes.

Puis je les distribue aux enfants qui s’égaillent, comme un vol de moineaux, pour rapporter chez eux de quoi rêver le soir au moment des veillées, blottis tout près du feu.

Laissez venir à moi tous les petits enfants.

Moi, la sorcière sans âge

moi, le sorcier sans nom

je leur raconterai toutes les histoires d’antan.

Magali Bossi

Photo : © fszalai

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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