Les réverbères : arts vivants

Au TMG, on cherche Le petit bout manquant !

Du 11 au 22 janvier, le Théâtre des Marionnettes de Genève se transforme en espace de jeu, espace de quête, espace de questionnement – tout ça grâce à une pièce : Le petit bout manquant, adapté d’un diptyque d’albums jeunesse signé par l’auteur américain Shel Silverstein. De quoi retourner en enfance, grâce aux Productions Hors Cases.

Il est où mon p’tit bout ? Par-là ? Par ici ? C’est l’histoire d’un drôle de rond – un drôle de rond à l’air bien sympathique, un drôle de rond pas tout à fait rond. Et pour cause ! Figurez-vous que ce rond-là, pour être complet, il lui manque… un petit bout ! Comme une tranche de gâteau qu’on aurait coupée, une part de lui-même qui demeure vide. Que faire ? Le drôle de rond devient inconsolable, tant il aimerait être complet. Pourquoi ne peut-il par être heureux, comme toutes ces autres formes géométriques (complètes, elles !) qu’il rencontre sur son chemin ? Existe-t-il un petit bout pour combler son manque ?

Heureusement, notre drôle de rond est un battant. Ni une, ni deux, le voilà qui part en quête de ce bout qui lui manque. Par monts et par vaux, par mer et par forêt, il finira bien par le trouver. Sur sa route, il croise des petits bouts de toutes sortes, avec lesquels il tente de s’accoquiner – mais ils sont trop grands, trop petits, trop épais, trop biscornus… ils ne rentrent pas dans l’espace qui lui manque. Jusqu’à ce qu’un jour…

L’art de trouver petit bout à son pied

…jusqu’à ce qu’un jour, il trouve ce qui lui manque. Un petit bout juste de la bonne taille ! Alors là, c’est l’extase ! Les voilà qui fusionnent, prêts à vivre ensemble des aventures extraordinaires. Hélas, comme tout lasse et tout passe, le drôle de rond finit par s’ennuyer. Au petit bout tout triste, il donne son congé.

C’est là que l’histoire prend un autre tour. Notre héros devient, non plus le drôle de rond (définitivement sorti de la scène), mais le petit bout manquant qui va devoir composer avec cet abandon. Comme dans toutes les ruptures, ça va être difficile : tristesse, colère, ressentiment, jalousie… notre petit bout va passer par toute une palette d’émotions, avant de remonter la pente et de partir lui-même en quête du grand bout qui lui manque. La leçon qu’il apprendra le fera changer, grandir – puisqu’il comprendra que, pour être heureux, il faut trouver la force en soi-même, avant de demander aux autres de combler un manque.

Plasticité marionnettique et jeu vidéo

Sur le plateau, le petit bout manquant, le drôle de rond et toutes les formes qu’ils rencontrent s’amusent beaucoup… peut-être autant qu’Émilie Bender (interprétation) et Gérald Wang (performance musicale live). Les personnages, incarnés par des marionnettes de table, changent de taille ou de texture : tantôt dessinés sur du carton blanc rigide, rehaussés d’un trait de stylo noir pour tracer un contour ou un œil, tantôt fabriqués en tissu comme des drôles de coussins rembourrés qu’on aimerait serrer contre soi… Ils en voient de toutes les couleurs, ces personnages, à mesure qu’on les écrase, qu’on les roule en boule, les fait sauter, nager, voler, tourbillonner, s’écraser. L’esthétique, minimale, rappelle celle des albums de Shel Silverstein : on retrouve le délié des dessins, la mer a des vagues découpées comme dans les livres d’image, l’herbe est formée de traits verts qui s’élancent vers le ciel. Dans cet espace de jeu où le superflu n’a pas sa place, on est désormais libre de se laisser attraper par l’histoire.

Et quelle histoire ! Parce qu’elle raconte une quête, la pièce proposée par les Productions Hors Cases adopte un langage qui est à rapprocher d’un autre médium que la jeunesse consomme : le jeu vidéo. Le drôle de rond prend ainsi des allures de Pac-Man (mais en noir / blanc), avec sa bouche fendue (là où manque le petit bout). Au fur et à mesure des déplacements, on a l’impression d’évoluer de plateforme en plateforme, de niveau en niveau – exactement comme dans un jeu vidéo. Et quand les personnages se trouvent devant un obstacle, échouent à trouver leur moitié ou dégringolent d’une pente – PAF ! C’est un peu comme si on revenait en arrière. Il faut alors tout recommencer. La performance musicale live accentue encore cette immersion dans l’univers de la quête et du jeu vidéo : installé sur une scène dans la scène, délimitée par des lumières qui tiennent à la fois du dancefloor et de la guinguette, Gérald Wand s’en donne à cœur joie. Solo de basse, chansons en forme de ritournelles matinées de blues, boucles rythmiques sur des drôles d’instruments aux sonorités psychédéliques ou planantes, bruitages mimant les actions des personnages… il nous fait entrer dans l’univers sonore de ce conte attachant.

Mode d’emploi des relations ?

Mais le spectacle ne saurait être complet sans les postures, les mimiques et les changements de voix de l’énergique et pétillante Émilie Bender, qui incarne chacun des personnages avec beaucoup d’humour. Passant du désespoir à la colère, de la timidité à l’esprit aventureux, de la joie contenue à l’enthousiasme le plus déjanté, elle donne toute leur âme aux formes-personnages dont nous suivons les aventures. À travers ses gestes et sa voix, nous comprenons peu à peu que l’histoire est bien plus complexe qu’elle n’y paraît.

Pour le drôle de rond et le petit bout manquant, il ne s’agit pas simplement de retrouver un élément qui leur manquerait pour être complet… il s’agit aussi de faire comprendre au public (c’est-à-dire, nous) que ce qui se joue sur scène, c’est une métaphore des relations humaines. Se déploie alors un second niveau de la pièce – qui sera peut-être davantage perceptible pour les parents que pour les enfants : ce que cherchent nos formes-héroïnes, c’est une moitié, oui… mais dans le sens d’une « âme-sœur ». Quelqu’un avec qui partager sa vie, avec qui vivre l’aventure. On comprend alors autrement certaines allusions – ainsi, lorsque le petit bout cherche un-e partenaire et se retrouve abordé par des gens plus ou moins fréquentables… Avec humour et finesse, Le petit bout manquant nous apprend à avoir confiance en nous, à croire en notre propre force, à tracer nous-mêmes notre destin, avec quelqu’un-e ou tout-e seul-e.

Car après tout, que l’on soit drôle de rond ou petit bout, l’important, c’est de vivre heureux-se !

À découvrir dans les murs du TMG : le deuxième numéro du magazine MAGMA – le magazine marionnette du TMG est désormais disponible !

Magali Bossi

Infos pratiques :

Le petit bout manquant, adapté de l’œuvre de Sheil Silverstein (traduction française de Françoise Morvan), du 10 au 22 janvier 2023 au Théâtre des Marionnettes de Genève.

Co-mise en scène : Laure-Isabelle Blanchet et Delphine Delabeye

Avec Émilie Bender (conception et interprétation) et Gérald Wang (performance musicale)

https://www.marionnettes.ch/spectacle/267/le-petit-bout-manquant

Photos : © Productions Hors Cases

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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