Avis de tempête
Il ne faut jamais se moquer des riches… on ne sait jamais. – Comme s’il en pleuvait – de Sébastien Thiéry – Théâtre Alchimic – jusqu’au 18 décembre 2024.
Il faut imaginer un déluge de fric provoqué par le hasard, sans passer la loterie.
Comme toute tempête, cela débute par une goutte : 100 balles. Cent balles ! Il y a là une joie identique à celle des retrouvailles inopinées avec un billet oublié dans une poche de veste. Un petit plaisir qui jaillit de nulle part, une légère jouissance. Seulement quand l’averse de pognon se transforme en orage d’été… tout bascule. Et il n’existe pas de parapluie pour cause de pluie de fric !
Les heureuses victimes, c’est Bruno (Christian Grégori) et Laurence (Maria Méttral), un couple moyen issu de la couche moyenne, dans un quotidien classique flanqué d’une femme de ménage et d’un canari. De la bourgeoisie bourgeoisante pure laine.
Du premier billet tombé de nulle part, le couple s’en accommode. L’argent ne fait pas le bonheur, car ce dernier n’est pas un fait, mais est à faire… Donc un petit resto inopiné balaye les raisons de la cause. La mise en scène (Antony Mettler) place tout au long du spectacle de multiples petites touches qui tentent toutes de désamorcer les tensions grandissantes. C’est subtil, parfois fugace, toujours précis.
Puis au beau milieu du salon, c’est force 4. Vingt-deux milles balles… Cela provoque naturellement l’augmentation du bonheur ressenti. Comme deux oiseaux en équilibre sur leur perchoir, Bruno et Laurence oscillent entre le désir et la culpabilité. C’est en cela que le propos est universel.
Ils passent tout d’abord leur stress sur leur ancillaire espagnole affolée qui possède une honnêteté de base et des qualités de tango. Un joli rôle tenu par Lola Grégori dans plusieurs scènes pétillantes. Maria Mettral, splendide en gauche caviar faux derche, tente de consolider ses convictions qui se lézardent, tandis que Christian Gregory chante et danse l’air du foutage de gueule. Les choses sont piquantes et magnifiquement bien amenées.
« Il vient de tomber trente centimètres de fric ! » Évidemment, il faut une explication à cette providentielle chute de pognon. Un voisin (Antony Metteler) brut de décoffrage, violent aux entournures, vient donner un semblant d’explication dont le public se fiche… Qu’importe d’où vient le fric, pourvu qu’il y ait richesse !
Car ce qui est important, plus que le montant lui-même, c’est bien le fait d’avoir plus. L’auteur philosophe avec l’idée de la satisfaction perpétuelle. C’est bigrement bien écrit. Et comme chacun peut se reconnaître dans cette loufoque aventure, les rires de la salle augmentent en fonction de la couche de biftons. Encore une fois : bien écrit, bien joué, bien vu.
Mais, puisque le bonheur tient moins aux revenus dont le couple dispose désormais, qu’à la comparaison, la morale va l’emporter. On le sait, cette addiction à la croissance est économiquement problématique et humainement vaine. Christian Gregory, dans le rôle de l’Homo economicus enfermé comme un oiseau en cage dans son insatisfaction perpétuelle, comprenant la proximité de la fin de son monde, va finir par trouver la fin de toute espérance en imposant la sanction suprême aux témoins de son aventure.
Dans un décor parfaitement imaginé (Anne Vanier), le jonglage entre l’argent et la morale provoque donc des sentiments à géométrie variable. Les rires nés de ce subtil spectacle permettent dès lors de (re)trouver, chacun·e, son équilibre.
Jacques Sallin
Infos pratiques :
Comme s’il en pleuvait, de Sébastien Thiéry, au Théâtre Alchimic, du 28 novembre au 18 décembre 2024
Mise en scène : Antony Mettler
Avec Maria Mettral, Christian Grégori, Antony Mettler, Lola Grégori
https://alchimic.ch/comme-s-il-en-pleuvait/
Photos : ©Anouk Schneider
Cher Jacques,
Merci pour ce superbe retour très juste.
Amitiés et belles fêtes de fin d’année.
Antony