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Le coquillage

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, c’est Coralie Leuthold qui prend la plume. Au fil des mots, elle répond à une question initiale qui n’a rien d’anodin : pourquoi écrivez-vous ?

Bonne lecture !

* * *

Le coquillage

Pourquoi écrivez-vous ?

Pour mieux voir.  

Question-gouffre, question-creuse-méninges. Les images déferlent aussitôt, chacune essayant d’exprimer mieux que l’autre ce qui ne peut s’expliquer. C’est encore et toujours le chat qui tente d’attraper sa queue (je ne peux décidément pas m’en défaire).

Que dire, si ce n’est que le désir d’écrire est toujours présent ? Au départ se trouve un élan, une volonté de prolonger chaque chose vécue, d’aller plus près, plus profond. Écrire pour résister à l’aveuglement, à l’habitude, écrire pour voir vraiment. C’est faire un pas, vouloir s’approcher, s’émouvoir et suivre des yeux, c’est une corde qui tire en avant. Il me semble que la bouche, la peau, les yeux sont insuffisants, qu’il faut des mots pour vraiment ressentir, qu’ils sont nécessaires pour trouver ce qui, à chaque instant, attend d’être déployé, prolongé. Écrire pour comprendre ce qui, en moi, bat des ailes et veut s’envoler… Lorsque je m’arme de courage et qu’un texte voit le jour, il ne s’agit que d’une matérialisation possible, souvent décevante, de ce mouvement vers les choses ; le texte est un pont vers une autre rive, qui, une fois construit et traversé, me ramène à la berge que je viens de quitter. J’ai cette curieuse manie, au cœur des disputes, du chagrin, des grandes liesses, de me demander comment j’écrirais cette scène, quel genre d’histoire, quel poème elle pourrait engendrer. Sortir de soi, regarder la vie comme un texte à venir. Écrire pour s’approcher… mais aussi pour prendre du recul (ce genre de paradoxe me donne du fil à retordre). Mais il y a, avant tout cela, la joie de travailler les mots, argile précieuse, grand tissu dont j’aimerais me vêtir, seconde peau… Les images affluent, il me faut être prudente. Il en reste une, qui persiste, s’impose, celle du coquillage que l’on porte à son oreille pour y écouter les vagues. De graves voix sérieuses expliquent que l’on entend simplement son propre sang battre à ses oreilles ; elles ont raison, bien entendu. Mais ne serait-il pas plus doux que les spirales ourlées de nacre emportent par magie le souvenir du ressac, que chacun puisse s’en enivrer, s’en émerveiller, même celui qui n’a jamais vu la mer ? Écrire pour continuer de croire… que le texte n’est pas une coquille vide, renvoyant à celui qui le lit, à celui qui l’écrit, l’écho trompeur de sa propre solitude. J’espère toujours, en écrivant, qu’on lira mes mots comme on place le coquillage tout contre son oreille : ému d’entendre ou de croire entendre – est-ce si différent ? – une voix restée claire derrière le tumulte des vagues, celle du voyageur qui a pris le large sans connaître son cap; car je n’ai eu, pour m’orienter, qu’une boussole à l’aiguille folle, attirée par mille pôles à la fois, et je suis entrée dans les mots comme j’aurais pris la mer : incertaine, éperdue, en suspens – heureuse qui, comme Ulysse, va faire un beau voyage…

Coralie Leuthold

Vous souhaitez découvrir d’autres textes produits dans cet Atelier ? N’hésitez pas à vous rendre dans nos pages numériques… et à découvrir une sélection-florilège sur L’Exultoire (le site de l’Atelier).

Photo : © Mylene2401

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