Une basket dans l’air du temps
Pour fêter les 40 ans de sa Compagnie 100% Acrylique, Evelyne Castellino reprend, en la liftant aux codes de l’époque, son adaptation de Cendrillon qu’elle avait créée en 1992 avec la regrettée Edurne Rodriguez Muro dans le rôle éponyme. Au Théâtre de la Parfumerie jusqu’au 22 décembre, la relève est bien là : rock, insoumise et belle.
D’abord la belle idée des décors et de la scénographie. Au plateau, une impressionnante structure métallique de cinq mètres par quatre, haute de plus de trois mètres et qui tourne sur elle-même. Cette « scène sur la scène » va permettre de situer le bistrot dans lequel une belle-mère infame à souhait exploite la célèbre orpheline sous le regard moqueur de ses deux demi-sœurs dévorées par l’égoïsme et la jalousie (hilarantes Maude Faucherre et Verena Lopes).
Autour de ce donjon matriarcal déserté par le père de Cendrillon parti marcher « parce que c’est sa marotte » (…), le palais royal de Perrault devient le terrain vague de Castellino. No man’s land et QG rock d’une bande de loubards musiciens dont le chef s’appelle Lucien… Leprince… un lunetteux qui aime les livres. À noter la valeur ajoutée des morceaux de rock et de rap interprétés en live qui permettent à Bastien Blanchard, Florestan Blanchon, Lucien Thévenoz et Mathieu Wenger de montrer toutes les cordes qu’ils ont à leurs arcs artistiques. Tout comme Annick Juan Torres qui excelle dans les chorégraphies du spectacle.
Il y a ensuite un boulot de coordination incroyable entre la vidéo, le mapping, les lumières, le son et la musique en direct. Pas moins de trois maîtres d’œuvre – Michel Faure, Graham Broomfield et Francesco Cesalli – sont aux commandes pour orchestrer toute cette pluridisciplinarité à la seconde près. C’est magique. Le public est bluffé et il convient de rendre hommage ici à ces créateurs de l’ombre qui, comme le dit le premier d’entre eux, font un travail réussi quand celui-ci ne se voit pas.
Finalement, il y a l’énergie de la Troupe. On sent une joie collective d’être ensemble pour réadapter ce conte à la sauce comédie musicale, entre Starmania (pour le côté mauvais garçons) et Les Demoiselles de Rochefort (pour l’esthétisme et la synchronie cadencée des trois géniales nunuches). Et, sans trahir le classicisme de l’histoire, le texte ne se prive pas de lancer des piques – certes légères – contre les dérives de l’époque : les réseaux sociaux, les portables, la consommation à outrance et la méchanceté gratuite. Autant de tares dont sont porteuses Anastasie et Javotte, les deux sœurs cruches jumelées dans leur crétinerie et qui, à l’évidence, pensent que la sororité est une destination touristique.
À noter la puissance du collectif des comédiennes et comédiens. Sans (trop de) fausses notes, que cela soit pour le jeu, la danse, les chants ou la musique, le spectacle met en valeur le rythme gagnant de sa dimension chorale en gardant bien entendu sa place de soliste à Cendrillon.
Bien dans l’esprit du temps, Sandrine ne devient souillonne dans ses cendres que contrainte et forcée par l’infâme marâtre (impeccable Clara Brancorsini). Féministe dans son attitude, notre héroïne n’est jamais réduite à une petite chose sans défense. Sa révolte sourd pendant toute la pièce et, bien dans ses baskets (…), on comprend que sa quête de liberté ne dépend pas que d’une histoire d’amour, aussi romantique soit-elle. Non, Sandrine va, comme il se doit, s’affranchir de toute domination pour trouver son chemin de jeune femme émancipée. Et la jeune Katia Ritz tient son personnage comme une grande.
Joli clin d’œil aussi à la directrice de la Compagnie 100% Acrylique quand celle-ci est filmée dans le rôle d’une vieille fée un peu foldingue qui s’en fout d’oublier ses formules. L’interaction entre la vidéo et le théâtre est encore une fois une des bonnes surprises de ce spectacle qui n’en manquent pas. Grâce à toute cette technologie (soulignons encore les différentes profondeurs de projection et la qualité du mapping) ainsi qu’au dynamisme du jeu des interprètes, l’émerveillement est bel et bien au rendez-vous. Et la nostalgie de 92 cède vite le pas à la fraîcheur de cette version qui a su se réinventer entre candeur, vigueur et bonheur.
Stéphane Michaud
Infos pratiques :
La Basket de Cendrillon, par la Cie 100% Acrylique, du 3 au 22 décembre 2024 au Théâtre de la Parfumerie.
Mise en scène, dramaturgie et chorégraphies : Evelyne Castellino avec la participation des interprètes
Avec Bastien Blanchard, Florestan Blanchon, Evelyne Castellino, Maud Faucherre,
Annick Juan Torres, Verena Lopes, Clara Brancorsini, Katia Ritz, Lucien Thévenoz, Matthieu
Wenger
https://www.laparfumerie.ch/evenement/la-basket-de-cendrillon-cie-acrylique/
Photos : © Pierre-André Fragnière