Le banc : cinéma

Blue Sun Palace : en quête de réconfort

Avec Blue Sun Palace, Constance Tsang signe un film intimiste sur la reconstruction après la perte, tout en questionnant subtilement la vulnérabilité des protagonistes au sein de leur réalité complexe.

Didi (Haipeng Xu), Amy (Wu Ke-Xi), Josie (Min Han Hsieh) et Fei (Lisha Zheng) vivent et travaillent dans un salon de massage à New York. Les deux premières rêvent de partir pour Baltimore y ouvrir leur propre restaurant. Tous les dimanches, elles profitent d’ailleurs de l’absence de clients pour tester leurs recettes et en faire profiter leurs deux autres amies. Mais quand Didi meurt subitement à la suite d’un braquage au salon, tout va changer. Amy peine à s’en remettre, tout comme Cheung (Lee Kang-sheng), l’amant de Didi. Les deux tenteront de se reconstruire et trouver du réconfort ensemble, tout en devant faire face aux écueils du deuil et de l’absence…

Prendre le temps face à la perte

Blue Sun Palace marque par son rythme, particulièrement lent. Toute la première partie, avant la disparition de Didi, dure environ une demi-heure, soit un quart de la durée totale de ce long métrage. Pourtant, le centre du propos de cette histoire a bien lieu après cette perte. Pourquoi prendre tant de temps à y arriver, peut-on se demander ? Il s’agit en réalité de mettre en place différents éléments du film. À commencer par la relation entre Didi et Cheung, dont on comprend à demi-mot qu’elle est illégitime, Cheung ayant une épouse à Taïwan. D’ailleurs, alors qu’il est le premier à apparaître à l’écran dans la scène initiale avec Didi, il disparaît presque complètement de l’histoire, jusqu’à après la mort de cette dernière. La relation principale, qui nous intéresse donc, est celle entre Didi et Amy, ces deux amies proches qui ont de nombreux projets ensemble. En prenant ce temps, Constance Tsang crée un attachement, non seulement envers Didi, mais aussi envers son amitié avec Amy. Ainsi, nous sommes également touché·e·s par sa disparition, de manière à mieux comprendre ce que ressent son amie.

Au-delà de cela, c’est aussi tout l’univers dans lequel elles évoluent qui nous est présenté. Si le salon n’est qu’un salon de massage, les abus sont fréquents de la part des clients, qui en demandent plus, sans pour autant toujours payer. Un long plan sur la porte d’entrée et l’affiche précisant que le salon ne pratique aucun supplément d’ordre sexuel vient d’ailleurs insister sur ce point. Une manière subtile de montrer que ce genre de pratique est monnaie courante dans ces salons, une réalité que Didi a fini par accepter, au contraire d’Amy. Cela leur vaudra d’ailleurs quelques désaccords, ainsi que quelques soucis à Amy. Si cette dimension-là n’est pas au cœur du propre, elle est toutefois particulièrement bien amenée, pour faire comprendre la complexité du contexte dans lequel les protagonistes évoluent.

La seconde partie du film, centrée sur la relation naissante et ambiguë entre Cheung et Amy, continue sur le même rythme. On perçoit les problèmes de chacun·e : Amy doit surmonter sa peine pour continuer à exercer son métier et mettre de l’argent de côté, bien qu’elle n’éprouve aucun plaisir ; Cheung, ancien patron, enchaîne les petits boulots après avoir dû fuir Taïwan à cause de ses dettes, tout en devant encore envoyer de l’argent à son épouse restée au pays, pour payer les frais d’hospitalisation de sa mère. Une épouse qui n’en a d’ailleurs que le nom, tout amour entre eux ayant disparu depuis bien longtemps. Alors, Amy et Cheung passent du temps ensemble pour tenter de surmonter la perte de Didi, mais la relation s’avère biaisée par le souvenir de leur amie commune, surtout pour lui. Se pose alors la question de la masculinité toxique, dans son attitude envers Amy. Un propos bien vite désamorcé, une fois encore très subtilement, pour montrer qu’il ne s’agit que de tristesse face à un deuil qu’il n’arrive aucunement à surmonter.

Dans la réalité du deuil

C’est sans doute la grande force de la réalisation de Constance Tsang : proposer un film d’apparence très simpliste, sans artifice ni grands effets, avec un grain de caméra qui rappellerait presque celle d’un amateur. Ce choix permet d’entrer pleinement dans la dimension réaliste de Blue Sun Palace. La majorité des plans, à quelques exceptions près, sont plutôt larges, comme si on ne voulait pas que la caméra joue un rôle intrusif dans la vie des protagonistes. Il y a une forme de pudeur qui se dégage de la manière de filmer les personnages. Les scènes de « sexe », d’ailleurs, sont marquantes à cet égard, dans la mesure où la caméra donne l’impression qu’on veut détourner le regard : on comprend ce qui se passe, mais tout acte demeure hors champ. On se concentre plus sur la réaction de Didi ou d’Amy, et le contraste entre les deux est d’ailleurs frappent, entre la première qui a simplement accepté cet état de fait, et la seconde qui paraît totalement dégoûtée.

En conservant les bruits ambiants de la rue, la réalisation de Constance Tsang donne également une impression presque documentaire, comme l’évoquait déjà le grain de l’image. Ajoutez à cela que tous les dialogues sont en mandarin, pour nous immerger encore plus profondément dans la réalité représentée à l’image. Blue Sun Palace prend ainsi une dimension intimiste, avec une impression de huis clos. À l’exception des scènes représentant Cheung seul ou avec ses amis, dans lesquelles on se retrouve sur son lieu de travail, dans sa chambre ou encore dans la rue, tout le reste ne se déroule qu’à l’intérieur du salon. Comme si tout devait se passer là et que les trois amies restantes ne pouvaient s’en échapper… jusqu’à la toute dernière partie du film, et une évolution positive pour Amy.

Sans voyeurisme et avec une grande pudeur, Blue Sun Palace raconte ainsi le deuil, tout en évoquant subtilement un contexte new yorkais complexe et dont on n’entend jamais parler, pour une réalisation fine et intimiste, autour d’un sujet pourtant tristement universel.

Fabien Imhof

Référence :

Blue Sun Palace, réalisé par Constance Tsang, USA, sortie en salles le 30 avril 2025.

Avec Wu Ke-Xi, Lee Kang-sheng, Haipeng Xu, Min Han Hsieh, Lisha Zheng…

Photos : ©Nour films

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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