Les réverbères : arts vivants

Bongolatrices : Le Congo, le vrai

Du 11 au 20 mars, le Théâtricul accueille la bouleversante Maguy Kalomba, qui raconte son Congo, celui « d’en bas-en-bas ». Les Bongolatrices, dans une mise en scène d’Iria Díaz, nous font découvrir une réalité trop méconnue dans nos contrées.

Avant d’entrer dans la salle, un glossaire est distribué aux spectateur·trice·s : des termes spécifiques, propres à la région dont elle va nous parler, qui nous aideront à nous imprégner de l’atmosphère si particulière des rues congolaises. On apprend ainsi que les Bongolatrices qui ont donné leur nom au spectacle sont les changeuses de monnaie au marché noir. D’argent, il en sera bien question, car, paraît-il, c’est lui qui mène le monde. Pendant environ une heure, Maguy Kalomba interprète des personnages qui bien souvent en manquent. Avec ses nombreux changements de perruques et de costumes, elle nous raconte les gens « d’en-bas-en-bas » et avec eux, la réalité de son pays. Elle reprend les récits de l’auteur Yoka Lye Mudaba qui, dans  Binsonji bia Bakaji / Larmes de femmes de, , s’est emparé de récits de vie pour en faire une fiction. Mais, nous dit-elle, tout ce qui nous sera raconté est vrai.

Habiller la scène et le récit

À notre entrée dans la salle, la scène est noire et nue. Maguy Kalomba arrive, un grand panier posé sur sa tête : il contient tous les décors, costumes et perruques qu’elle utilisera durant le spectacle, tandis qu’une voix-off introduit le spectacle, racontant notamment son parcours de comédienne et la situation difficile pour sa profession au Congo, elle installe trois draps aux motifs de pinces à linge qui lui serviront de décors. Elle pourra se cacher derrière pour changer de perruque quand elle ne le fait pas à vue, ou s’en servira pour figurer un pupitre lors du discours de l’ancien dictateur Mobutu…

Mais au-delà de ces draps, c’est par ses mots que Maguy Kalomba habille la scène. À travers des récits à la première ou à la troisième personne, c’est toute une galerie de personnages qu’elle présente. Toutes et tous sont, à leur manière, en détresse : prostituées londoniennes, enfants de rue shégués, bongolatrices, trafiquants d’essence frelatée khadafis… Jusqu’au récit de cette mère qui a perdu sa fille lorsqu’un avion a raté son décollage et s’est écrasé sur un marché. Elle conservera pour seule relique un morceau de bras arraché et la bague que son père lui avait offerte pour son anniversaire. Sans doute, à mes yeux, l’histoire la plus forte de la soirée. La musique, enregistré dans les rues de Kinshasa par Michel Faure, nous plonge encore un peu plus dans l’ambiance des lieux, pour nous en rapprocher. Oscillant entre la douceur de sa voix et la puissance des mots qu’elle débite sur scène, Maguy Kalomba nous fait entrer dans l’intimité de ces anonymes, desquel·le·s on finit par se sentir proche.

Une autre réalité

Car cette réalité congolaise, on ne la connaît que trop peu. Trop éloignée de nous, trop peu médiatisée… Bien sûr, cela fait écho à l’actualité plus proche on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi on n’est pas plus au courant de tout cela. Et quand Maguy nous explique que son métier de comédienne est en voie de disparition au Congo, dans un pays où huit personnes sur dix (ai-je bien entendu ?) vivent en-dessous du seuil de pauvreté, on relativise un peu notre confort occidental. Enfin.

Pour autant, ce n’est pas une réflexion qu’elle avance elle-même, juste ce qui m’a trotté dans la tête en voyant la détresse de tous ces personnages. Car il faut le souligner : il n’y a aucune plainte dans leurs mots, aucune culpabilité qu’on chercherait à nous faire ressentir. Malgré les difficultés, iels avancent, continuent de rêver, de voir plus grand. Il y a comme une sorte de fatalisme, comme si on ne pouvait rien faire pour aider à leur situation. Alors, à quoi bon ruminer ? Ce sont au final des émotions diverses et variées qui s’emparent de nous, mais surtout une certaine douceur et un message d’espoir que portent les Bongolatrices de Maguy Kalomba.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Bongolatrices, de Maguy Kalomba, d’après Binsonji bia Bakaji / Larmes de femmes de Yoka Lye Mudaba, du 11 au 20 mars 2022 au Théâtricul, et du 30 octobre au 5 novembre 2023 au Grütli – Centre de production et de diffusion des arts vivants.

Mise en scène :  Iria Díaz

Avec Maguy Kalomba

https://theatricul.net/11723-2/

https://grutli.ch/spectacle/bongolatrices/

Photos : © Isabelle Meister

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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