Ça t’a fait du bien ? Oui !
Cet été, par tout temps (…), le Cabaret BET (Bon et Tonifiant comme l’air pur de la nature) réunit un groupe de talents à l’énergie survitaminée sous la houlette dé (« c » ou « t » à choix) onnante de Sophie Ammann, Raphaël Archinard, Nathaly Leduc et Camille Tavelli. Le Théâtre de l’Orangerie, sa nouvelle ligne artistique et sa scène ouverte leur offrent un écrin inégalable pour s’essayer à des performances créatives qui permettent, à n’en point douter, de dénicher et mettre en valeur celles et ceux qui font et feront l’actualité des plateaux romands aujourd’hui et demain.
« Tant que c’est drôle, tout est possible ! » Voilà le credo assumé de cette bande de barjot·e·s talentueux·ses et bien lâché·e·s du cabaret BET qui nous propose cinq fois dans l’été une immersion expérientielle pluridisciplinaire explosive : clown, stand-up, cirque, musique, danse… L’esprit d’innovation et d’effervescence est un levier de la troupe pour nourrir la diversité artistique des scènes d’ici et d’ailleurs. Le collectif débridé catalyse ainsi la créativité. Et l’humour qui en ressort nous fait un bien fou en ces temps… pluvieux.
Le 11 juillet dernier justement, l’orage était plus que menaçant. Il faisait partie du spectacle. Sans pour autant réussir à noyer la magie du lieu derrière ses rideaux d’eau. Quel bonheur d’ailleurs de voir chaque année fleurir le jardin artistico-bucolique de l’Orangerie. Qui plus est aujourd’hui sous la houlette éthique de Céline Nidegger et Bastien Semenzato. On sent bien chez le couple directeur le bel espoir de valoriser la création locale sans hiérarchiser l’importance des projets. Et cette horizontalité est aussi visible dans leur style de management qui cherche à donner à chacun·e, de l’administration à la technique en passant par la buvette, une reconnaissance identique quant à la bonne marche de ce lieu d’utopie.
Revenons à la proposition du soir. Lieux de fêtes emblématiques mêlant les arts, les cabarets suscitent l’imaginaire depuis le début du XIXème siècle. Tiré du mot néerlandais « caberet » ou « cabret », qui désigne une auberge bon marché, et du mot picard « camberete » qui signifie « petite chambre », le cabaret trouve son origine en France. Il porte l’esprit des guinguettes du dimanche où l’on vient manger, danser… et se divertir en regardant des artistes s’essayer à différentes petites formes burlesques, humoristiques et audacieuses.
C’est inscrit dans cette belle tradition que le cabaret BET dévoile ses atours débridés. Tout commence par un téléjournal pendant lequel un micro-phallus de la RTS commence à nous raconter quelque ineptie. Très vite, le plateau explose et permet à l’ensemble de la troupe de l’envahir avec l’énergie révolutionnaire de celles et ceux qui veulent renverser le vieux monde en cassant les codes bourgeois.
Frangin et Lulu s’emparent alors des planches pour donner d’absurdes consignes de sécurité qui permettent de montrer tout le métier de comédiens capables de faire rire le public avec un propos plus vide de sens que le programme politique de Bardella. À souligner la vivacité d’impro de Raphaël Archinard et la voix si insolite travaillée par Victor Poltier.
Neal Maxwell leur succède quand l’orage se déchaîne. Le public est alors invité à venir se mettre à l’abri sur la scène qui se réduit comme peau de chagrin. Il en faudrait bien plus pour déstabiliser la troupe qui sait rebondir même si elle n’a plus que quatre mètres carrés pour exister. Le stand-upper aura toutefois fort à faire pour retrouver l’attention d’un public qui rit autant de la situation, des coassements des crapauds que de ses saillies verbales : « Contrairement à une mst, le rire, c’est comme la droite, ça ne se transmet pas facilement… »
Les transitions entre les numéros sont elles aussi soignées. Grâce à une régie sonore au poil, on a le droit à des duplex décalés entre la scène et la buvette où deux personnes s’apprêtent à faire l’amour, dixit le micro-phallus… Ou, encore plus loufoque, ce trio à l’entrée de l’ancienne serre qui, sous la pluie battante, se renverse des arrosoirs d’eau pour bien être dans l’ambiance. C’est assumé et c’est très bien.
Arrivent sur scène Ursula et Renée, deux vieilles filles à peine rentrées de vacances et qui aiguisent leurs langues de vipères pour dire tout ce qu’elles pensent de la politique du pays voisin. Nadim Ahmed est très bon dans sa vivacité d’esprit et sa gestuelle maniérée parfaitement travaillée. Quant à Bastien Blanchard, il excelle en fille putative de Marie-Thérèse Porchet. Et, au-delà de leurs personnages si bien campés, il convient aussi de souligner la qualité d’écriture comique de nos deux compères : « L’annulaire, c’est le doigt au milieu des autres, on ne sait pas comment il s’appelle ni à quoi il sert. C’est un peu comme le président de la Suisse… » Bien vu.
Et ça continue avec l’excellent numéro de la non-moins excellente Zozo Ramolo, présidente directrice générale du NoBurnOut.com Institut. Assumant d’une manière hilarante sa posture suisse-allemande hyper rigide, elle enfonce mille portes ouvertes pour nous prévenir des méfaits de l’épuisement professionnel. Grâce à sa machine-guitare détectrice de burnout, elle diagnostique dans le public ses futurs patient·e·s qu’elle ne manquera pas d’escroquer en leur promettant un avenir… plus léger. La polyvalente Zoé Sjollema est ainsi, à entendre les conversations « post-cabaret », une révélation de la soirée.
Yacine Nemra arrive à son tour pour ambiancer un public déjà bouillant. Son talent de jeu et d’écriture font aussi mouche. Sous son bob et avec une bonhomie qui fait qu’on a tout de suite envie d’être son copain, il envoie ses scuds avec rythme et justesse. On est pliés en quatre quand par exemple il nous parle de « cette chambre d’un jeune de droite avec au mur des posters de Bernard Nicod. » Gloire à lui (Yacine, pas Bernard).
Nadim Ahmed, toujours aussi efficace, revient ensuite, accompagné par Nathaly Leduc pour un nouveau duo désopilant entre le Dr Bertholet et Stacy autour de quiproquos inénarrables sur la gémellité. Relevons ici la présence scénique de la comédienne qui habite avec un aplomb admirable ses rôles.
Dans un registre plus musical, le duo N’importe quoi avec Koko et Sylvain nous invite à la danse du chien et autres propositions décalées assumées jusqu’au bout. Ces deux-là ont en commun avec les autres artistes de repousser sans cesse les limites de leur art. Aucune barrière de genre, de style, de culture, de public. Ils sont en effet capables de faire à peu près tout, voir n’importe quoi mais toujours avec brio.
Sophie (Amman) et Isa (-belle Vesseron), expertes en thérapie du bien-être, ponctuent la soirée dans une performance cocaïnée et salissante qui a même tendance à effrayer un peu le premier rang pourtant protégé par de grandes bâches en plastique. Elles cherchent dans la prise de risque (quelle glissade…) et jusqu’à l’épuisement ce qui peut nous faire du bien : œufs pourris, tarte à la crème, jets de peinture, tout y passe dans un final à l’image de cette folle soirée pendant laquelle les éclairs (de génie) ne zébraient pas que le ciel.
Stéphane Michaud
Infos pratiques :
Le Cabaret BET, le 11 juillet 2024 au Théâtre l’Orangerie, avec Nadim Ahmed, Sophie Ammann, Raphaël Archinard, Bastien Blanchard, Sylvain Fournier, Françoise Gautier, Nathaly Leduc, Neal Maxwell, Yacine Nemra, Victor Poltier, Zoe Sjollema , Koko Taylor et Isabelle Vesseron.
Encore le 25 juillet et le 22 août à 21 heures au Théâtre de l’Orangerie.
Photos : © Stéphane Michaud et ©Cabaret BET (dernière photo)