« Ce ne sont pas des idées, mais des pratiques ! »
Avec Niagara 3000, le quatrième volet de sa réflexion politico-philosophique Fire of emotions, Pamina de Coulon frappe fort. Un long monologue où elle parle de l’eau, du passé, de l’avenir, de son engagement, de ses pensées… C’était à voir deux soirs durant au Grütli.
Niagara 3000. Le titre et la réflexion de ce nouvel opus sont né·e·s de l’observation de ce haut lieu touristique à la frontière canado-états-unienne, et de tout ce qui y a été mis en place. L’électricité bon marché produite chaque nuit a contribué à l’installation de nombreuses grandes entreprises, les hôtels pour touristes pullulent et ont même modifié jusqu’à la trajectoire du vent… De cela et de nombreuses lectures naît une réflexion autour de l’eau : celle que l’on utilise en Suisse ou ailleurs, celle dont on a besoin pour vivre, celle qu’on ne trouve plus par endroits, celle des larmes, celle qui contient l’oxygène créant la rouille…
Une incroyable performance
Sur la scène, Pamina de Coulon attend le public, assise sur un énorme pouf en forme de rochers. Il y en a trois sur la scène, devant un rideau de tissus figurant une chute d’eau et la rivière qui en découle, au sol. Bientôt, au câble descendant du plafond sera suspendu le drapeau du « Club des rustiques », revendiqué par Pamina de Coulon pour une nouvelle réflexion sur l’avenir du monde. Pour les détails. Le propos du spectacle débute avec une pensée autour de la nature : alors qu’on a coutume de dire que la première fleur qui éclot est le début de quelque chose, cette dernière a pourtant commencé à travailler bien longtemps avant de sortir. Sans transition, Pamina de Coulon nous parle ensuite de Göschenen, de sa gare et de sa buvette où trône en lettres majuscules l’inscription « No picnic ! ».
Cette entrée en matière donne une idée de la forme que va prendre ce spectacle : un monologue d’une heure qui se déroule comme un fil de pensée, presque sans respiration, ni pour Pamina de Coulon, ni pour son public. Il nous faut souligner ici cette incroyable performance, avec un texte d’une difficulté non-négligeable, plein de références, de citations et de réflexions, qu’elle débite à un rythme absolument effréné.
Ce préambule permet aussi d’embrayer sur le reste de la réflexion, avec une grande dimension symbolique. Pour preuve, l’expression « No picnic » qui signifie en anglais qu’on se trouve dans une situation particulièrement compliquée. Comme celle de notre planète ? La réflexion de Pamina de Coulon sur le sujet est extrêmement documentée, avec un nombre d’auteur·ice·s impressionnant. La liste peut d’ailleurs être récupérée à la fin du spectacle. Les réflexions, donc, sont inspirées de philosophes, chercheur·euse·s, penseur·euse·s issu·e·s de différentes communautés, plus ou moins proches de la nature. Ce panel très large permet à Pamina de Coulon de présenter un spectacle abouti, total, et d’apporter une réflexion étayée, tout en donnant envie aux spectateur·ice·s présent·e·s de consulter l’un ou l’autre ouvrage, selon ce qui parle le plus à chacun·e.
Entre engagement et bien-pensance
Qu’on se le dise, le discours débité sur scène est très engagé ! Pamina de Coulon y exprime sa tristesse et sa colère, les pensées induites suite à la découverte de sa maladie du pancréas. Elle est véritablement touchée par ce qu’elle dit et ne s’en cache pas, donnant à Niagara 3000 une sincérité rare. On soulignera ici qu’à de rares exceptions près, ce discours n’est pas diffusé dans le vide. Elle ne se contente ainsi pas de s’insurger, mais questionne l’origine et les raisons de telle ou telle situation, afin d’y apporter des solutions. Sans prôner un retour en arrière qu’elle juge illusoire, c’est à une réflexion sur d’autres façons de faire, avec les situations qui se présentent qu’elle nous invite. Elle le martèle d’ailleurs : « Ce ne sont pas des idées, mais des pratiques ! » C’est ains qu’elle met en avant la maintenance plus que la réparation, avec cette volonté de prendre soin et d’anticiper la dégradation, plutôt que de bricoler ensuite. En plus, cela nécessiterait moins de capacités et sans doute moins d’argent. Tout le monde serait gagnant·e, non ?
De ce fait, son propos s’avère assez novateur et particulièrement intelligent et réfléchi. C’est pour cette raison que l’on regrette d’autant plus certains rares passages, comme celui sur la police, où sa réflexion s’avère radicale et généralisatrice. Si tout n’est pas à jeter, la (trop ?) légère nuance qu’elle y apporte ne suffit pas à égaler le reste de sa brillante pensée. Elle rappelle pourtant souvent cette idée de nuance, avec un discours bien amené le reste du temps. Dans ce passage-là, elle rate ainsi quelque peu le coche. Ou alors cherche-t-elle à entrer dans une sorte de provocation, qui s’insérerait tout à fait dans le reste de son discours. On peine toutefois à être convaincu par cette idée-là.
Cela n’enlève rien à la force du spectacle, et ce sont plutôt les autres passages – soit 95% de Niagara 3000 – que nous avons envie de retenir, avec un message étonnamment empli d’espoir face à une situation qui, de prime abord, ne fait que se détériorer. Alors, on a envie de croire à son énergie communicative et aux pratiques proposées.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Fire of emotions : Niagara 3000, de Pamina de Coulon, les 28 et 29 septembre 2023 au Grütli – Centre de production et de diffusion des arts vivants.
Texte et interprétation : Pamina de Coulon
https://grutli.ch/spectacle/fire-of-emotions-niagara-3000/
Photos : © Mathilde Widmann