Les réverbères : arts vivants

Le futur dans le présent

L’interdiction de mettre « ne serait-ce qu’une tout petit bout d’orteil dehors » voilà ce qui attends nos descendants. Si nous ne faisons rien les humains vivront bientôt dans une société où « le fonctionnel c’est l’essentiel ». Telle est la vision contée et chantée de notre futur par Laurie Comtesse et Marc Berman, les 30 septembre et 1er octobre aux bains des Pâquis dans Sylvestre et Urbania.

Urbania est une Tourienne. Née en 2205 elle a vécu dans un monde sans émotions, où les humains sont tous bien calibrés et vivent une vie aseptisée avec leurs écrans dans des immenses tours, sans connaitre les émotions, la nature, l’art, la musique et sans déborder des règles établies et de leur vie sur écran, dont celle de ne jamais mettre « ne serait-ce qu’une tout petit bout d’orteil dehors ». Dans ce monde dystopique, quand un enfant se trouve être non-calibré, il est jeté par la fenêtre et oublié aussitôt. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à Urbain, le petit frère d’Urbania, qui va refuser de l’oublier et le chercher sans relâche en lui envoyant des objets par la fenêtre pour l’aider. Dans cette quête, elle va être contactée par Sylvestre, qui vit en bas de la tour, dehors et va sortir pour le rencontrer. C’est lors de cette sortie, qu’elle va découvrir un monde d’émotions et de couleurs, ainsi que les connaissances de l’ancien monde (le nôtre). Par la suite, telle une Socrate du futur, elle va remonter dans la tour pour répandre la vérité mais faute de pouvoir révolutionner son monde, elle revient avec Sylvestre et son accordéon, dans le passé, en 2023, pour espérer changer le futur.

Ce qui frappe en premier dans ce spectacle c’est l’environnement qui, contrairement aux pièces de théâtre classiques, n’est pas dédié à la pièce. En effet, de la place de spectateur, on entend le conte et les baigneurs qui passent, l’accordéon de Sylvestre et les sirènes des bateaux qui naviguent, les chansons et les gens qui font des selfies avec le jet d’eau. Pourtant, l’implication des acteurs est telle qu’on suit l’histoire sans difficultés et qu’on est, en cas de dérive, rapidement ramené à la représentation grâce au rythme soutenu du spectacle et à l’accordéon de Sylvestre.

Comme il s’agit d’un spectacle qui se destine aux enfants, et qui dans sa forme leur est dédié, c’est un peu perturbant quand, comme moi, on n’a pas l’habitude. Mais en ayant l’esprit ouvert et en décidant d’accepter ce fait, je me suis facilement laissée emporter dans l’histoire d’Urbania et sa quête de la vérité. Cette forme de spectacle permet aussi de faire des propositions telle qu’offrir une carotte à chaque spectateur ou de proposer à un enfant de faire l’antenne avec un bout de bois, car ce n’est finalement pas un spectacle à regarder, c’est une histoire à vivre, participer est donc logique.

L’imprégnation du propos raconté, du monde dystopique futur vient donc nous frapper plus fort, plus loin de par son décalage avec le ton humoristique et musical avec lequel il est déclamé. C’est ce ton, allié à un monde futur imaginaire qui rend acceptable de réfléchir aux propos de ce conte.

Tout d’abord, il y a cette la réflexion sur l’importance de l’art et la musique, jugés non essentiels tant par les Touriens que par les gouvernements lors du covid ; et qui pourtant émerveille Urbania dès son arrivée en bas de sa tour et constitue une part essentielle de l’enfance. J’en veux pour preuve la quantité de dessins animée, musiques, contes et spectacles pour enfants qui sont produits chaque année et qui permettent l’éveil et l’éducation des enfants ainsi que la tendance de ces derniers à dessiner dès qu’ils en ont l’occasion.

Ensuite vient la réflexion sur l’importance de la nature, dont l’humain fait partie même s’il a tendance à l’oublier au point de penser pouvoir s’en passer. Ainsi que les réflexions sur l’humain calibré-parfait, maintes fois exploitées dans les œuvres futuristes comme le film d’Andrew Niccol Bienvenue à Gattaca et l’humain émotionnellement neutre exempt de créativité, que l’on tend de nos jours à partiellement atteindre en atténuant nos propos, expressions et émotions pour être socialement acceptable.

Enfin la phrase centrale de la révolution d’Urbania dans sa tour est pour moi la réflexion principale instituée par ce spectacle : « Laissez tomber vos écrans par la fenêtre, pas vos bébés ». Une phrase horrible en soi dans notre réalité qui se veut humaniste mais qui questionne sur l’importance accordées actuellement par notre société aux écrans et aux enfants. En effet, vous avez surement entendu aux nouvelles que les gens se battent dans les magasins pour obtenir en premier le dernier téléphone en vogue et le manque d’enseignants qui existe depuis plusieurs années et qui va aller en empirant dans l’indifférence générale. Deux faits qui pourraient donner envie de crier ce slogan à tue-tête aujourd’hui, peut-être sous une forme différente.

Pour conclure je dirai que le conte Sylvestre et Urbania est un spectacle tout public, car petits et grands y trouvent leur compte. Alors, si vous avez l’occasion de le voir, même en tant qu’adulte, foncez, riez, chantez et mangez des carottes avec Urbania et Sylvestre.

Lisa Rigotti

Infos pratiques :

Sylvestre et Urbania, de Laurie Comtesse et Marc Berman, les 30 septembre et 1 er octobre aux bains des Pâquis.

Création théâtrale : Laurie Comtesse et Marc Berman

Avec Laurie Comtesse et Marc Berman

https://www.facebook.com/events/1345435083070941?ref=newsfeed

Photos : © une co-production de compagnie Pièce Manquante et du Théâtre de l’Orangerie (banner) © Lisa Rigotti (inners)

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